Le rôle de l’intellectuel congolais face au pouvoir dictatorial de Joseph Kabila
Par Dr
FWELEY DIANGITUKWA, politologue et écrivain, auteur du livre "La thèse du complot contre
l’Afrique", éditions L’Harmattan, mars 2010, 318
pages.
S’il est exact que dans toutes les
sociétés, ce sont les hommes qui s’engagent fermement qui font l’histoire à travers leurs actions et les décisions qu’ils prennent pour orienter le destin de leur nation respective, si
également toute société, semblable à la vie humaine, est en mutation perpétuelle, si elle est à tout moment engagée dans un mouvement historique, dans une transformation permanent d’elle-même,
de ses institutions, des membres qui la composent et de son propre milieu, il est aussi exact que les mutations externes et internes influent sur l’histoire de toute
société.
Aucun pays n’échappe à cette loi sociale
universelle car le changement est l’un des phénomènes les plus constants de toute société. Dans cette tendance vers un changement social permanent, on observe régulièrement une lutte entre les
acteurs qui aspirent aux transformations des structures et ceux
qui, au contraire, s’y opposent et préfèrent
la conservation de leur fonction et de leurs privilèges. Ceux-ci sont, pour ainsi dire, plus intéressés au statu
quo qu’au changement.
L’intelligentsia politique congolaise est
l’une des catégories sociales qui participent plus que les autres - à travers ses initiatives et ses décisions – aux mutations de la société.
Définir le concept de
l’intellectuel
L’intelligentsia congolaise, de qui
est-elle composée, joue-t-elle pleinement son rôle dans ce pays en conflits perpétuels ?
Avant de définir le concept de l’intellectuel,
la roumaine DOÏNA CORNEA commence par exclure ceux qui ne sont pas des intellectuels : "Selon une opinion fort répandue, mais tout
aussi fausse, tous ceux qui détiennent des diplômes d’études supérieures seraient, ipso
facto, des intellectuels. Pourtant, parmi les diplômés que nous rencontrons, combien ne disposent
que d’un savoir limité aux notions apprises !
Ils appartiennent
- du fait même de leur médiocrité - à la catégorie de ceux qui sont dépourvus de pouvoir ; mais paradoxalement, le régime en a besoin, il encourage même leur médiocrité qu’il exploite comme
occasion de chantage, pour obtenir ainsi leur inconditionnelle abdication, en tant qu’hommes et citoyens, face au pouvoir. Instruments dociles, dépourvus de dignité, ils deviennent la clef de
voûte du régime. Ce sont les hommes du jour, les hommes des opportunités et des complicités lâches.
Une seconde
catégorie, mieux préparée dans sa stricte spécialisation, mais chez qui tout fondement culturel et moral fait défaut, est précisément la catégorie de l’intelligentsia au pouvoir.
[...]
Ils sont si imbus
d’eux mêmes, ils se donnent tant d’importance - pour sûr, il leur a été bien facile de parvenir si vite, en étant partis de si bas ! Nous le retrouvons partout, parmi les ministres, parmi les
activistes haut placés, parmi les hauts gradés de la Securitate (service secret de la Roumanie) [...]
Il est certain, le
pouvoir ne peut conférer à celui qui le détient le statut d’intellectuel".
Pour DOÏNA CORNEA, l’élite
intellectuelle est cette "catégorie de plus en plus restreinte de ceux qui possèdent, par-delà un savoir étendu, des qualités intellectuelles
d’exception".
Aux qualités exceptionnelles que doit posséder
l’intellectuel, elle ajoute les exigences de nature éthique.
La fonction de l’intellectuel
dans la société
L’intellectuel remplit une double fonction :
"Premièrement, celle de vivre impliquée dans la réalité, attentif à l’événement et à ses semblables, en un mot, celle de témoin. Non pas de témoin passif, indifférent, mais de
témoin actif, qui vient témoigner, au nom de la vérité, du bien, de la justice devant la société.
Par son témoignage sincère il
devient l’artisan de son temps, car il
apporte à son époque un plus de vérité, de bien et de justice […]
En vertu de ces exigences
intérieures, l’on reconnaît les vrais intellectuels au fait qu’ils ne sont manœuvrables par aucun pouvoir, ni politique ni d’aucune espèce. Ils suivent la voie de leur conscience quels qu’en soient les risques et c’est pourquoi ils ne se laissent
pas "agi" par des "vérités" toutes faites, imposées de l’extérieur, qui leur sont étrangères et qui, devant leur conscience, sont en réalité des non-vérités.
C’est grâce à ces qualités qu’ils
sont reconnus par la société comme étant des modèles exemplaires et deviennent, grâce à leur force irradiante, ses animateurs".
Les innovations relatives au discours du
changement ont souvent été l’œuvre de l’intelligentsia. Celle-ci
dispose - comparativement aux autres agents sociaux - des ressources nécessaires qui lui permettent d’être plus réfléchie, plus critique, quelquefois plus inventive, plus invective et plus
créative aussi.
Non seulement, elle a
accès à des informations venues d’ailleurs, mais en plus elle a des capacités d’analyse. Tous ces avantages font d’elle un milieu propice à la diffusion des
innovations.
L’audace de contester le pouvoir
commence généralement chez la contre-élite avant de se propager et d’orienter le comportement des autres agents qui, très souvent sinon toujours, se réfèrent, dans leur agir (praxis) aux mots
d’ordre de l’élite intellectuelle.
Comment intelligentsia
congolaise est-elle composée ?
Qu’en est-il de l’intellectuel
congolais, du moins celui qui vit en Occident ?
Possède-t-il les qualités
exceptionnelles auxquelles fait allusion DOÏNA CORNEA ?
A bien analyser les conflits en RD Congo, il
n’existe pas une division entre l’Est et l’Ouest comme l’a pensé et théorisé en 2006 un collègue professeur à l’université de Kinshasa. Il existe plutôt une division entre une certaine
catégorie d’intellectuels congolais qui restent inconstants, instables, malléables, cupides, toujours à la recherche d’argent facile et des postes politiques.
Les intellectuels de cette catégorie utilisent
leur savoir pour se rapprocher du pouvoir afin de participer au mangeoire ou à "la politique du ventre" que d’aucuns qualifient de "politique du haut et du
bas de la ceinture".
Vient ensuite une deuxième catégorie de ces
intellectuels congolais qui restent plutôt constants dans leur démarche, résolus et travailleurs.
C’est cette catégorie qui aspire réellement au
changement en participant à la reconstruction d’un nouveau Congo, d’un pays prospère qui rejoint le rêve des pères de l’indépendance.
Il y a enfin une troisième catégorie composée
de femmes et d’hommes qui vaquent à leurs occupations sans vraiment s’intéresser directement à la politique. Certains, parmi les intellectuels de cette dernière catégorie, vivent une
frustration profonde mais ils préfèrent se taire et se terrer.
Dans la première catégorie, on
retrouve des Congolais instruits, qui déclarent publiquement faire partie de l’intelligentsia congolaise, mais qui ont un comportement contraire à l’éthique. Les Congolais de la diaspora qui
appartiennent à cette catégorie organisent des fraudes électorales lorsqu’ils renouvellent les postes de responsabilité dans leur association ou dans leur fédération des
Congolais.
Ils s’appuient sur leur appartenance tribale
pour créer la majorité nécessaire en faisant appel aux ressortissants de leur ethnie parfois non-membres de la fédération des Congolais qu’ils prétendent représenter et au nom de laquelle ils
prennent la parole en public.
Ils tripotent avec le chiffre et le nom pour
faire élire leur ami. Imaginons les dégâts que ces compatriotes causeront à la République s’ils parviennent au pouvoir. De cette catégorie d’intellectuels, il faut déjà
désespérer.
Ce sont ces mêmes intellectuels congolais qui,
hier encore, sur leur site Internet (les traces existent), demandaient à NKUNDABAWARE MIHIGO de marcher sur Kinshasa pour chasser Joseph KABANGE
(KABILA) du pouvoir mais qui aujourd’hui se réclament, dans des hauts lieux, du kabilisme sans se rendre compte que le "kabilisme" n’existe pas car
Joseph KABANGE (KABILA) n’a jamais théorisé sur un quelconque concept idéologique.
Ils peuvent se dire pro KABILA mais delà à
prétendre se réclamer "kabilistes" au sens strictement conceptuel du terme est une aberration. Ces mêmes intellectuels congolais multiplient des conférences publiques
dans lesquelles ils associent les femmes et les hommes du pouvoir dictatorial de Kinshasa et des Congolais de grande renommée avec l’espoir de bénéficier au passage de quelques retombées
financières de la part de l’actuel régime dictatorial de Kinshasa (on se souvient de la fable de La Fontaine : "le corbeau et le renard") ou avec l’espoir de se faire
apprécier et, in fine, dans la perspective de décrocher un poste dans les
remaniements futurs.
Que peut-on penser de ces
intellectuels congolais de la diaspora qui sèment la confusion, qui font du rapprochement avec les membres du gouvernement la raison principale de leur association ou de leur fédération des
Congolais ?
Quel jugement doit-on réserver à tous
ceux qui apprécient sans gêne la fréquentation des membres du gouvernement et des acteurs des six millions de victimes congolaises ?
Dans quel camp doit-on les classer
définitivement. Ah duplicité, quand tu nous tiens !
Quant à la seconde catégorie composée de ces
intellectuels restés fermes dans leur choix et convictions, résolus dans leur démarche, ils suivent allègrement leur chemin pour la construction d’un Congo nouveau, plus beau qu’avant suivant
le rêve des pères de l’indépendant. Certes, ils sont encore divisés mais leur cohésion ne va plus tarder car ils sont appelés à s’unir pour sauver la mère patrie en danger.
Seul finalement le
long terme nous dira qui de ces deux catégories aiment vraiment le Congo et qui a aujourd’hui raison. Un sage et stratège chinois a dit : "La véritable sagesse consiste à savoir que, avec
ses capacités intellectuelles limitées, les ruses de l’homme seront toujours déjouées par les ruses du temps".
Dans toute société, il y a en
général trois catégories ou groupes d’hommes.
J’ai écrit ce qui suit dans ma nouvelle
publication intitulée "La thèse du complot contre l’Afrique
" : « Dans toute société, il y a en général trois
catégories ou groupes d’hommes :
La grande masse que
l’on confond parfois avec le peuple, le groupe intermédiaire et la petite "élite" composée de penseurs, philosophes, créateurs,
inventeurs, etc. c’est-à-dire ceux qui se distinguent des deux premiers groupes.
Ce troisième groupe est celui qui se préoccupe constamment du futur. Certains hommes et femmes qui y
appartiennent sont souvent pris pour des utopistes parce qu’ils s’éloignent des préoccupations quotidiennes de la masse
populaire.
Le groupe intermédiaire est composé de femmes et d’hommes qui ont un niveau supérieur voire universitaire, avec une
compréhension du monde mais qui demeurent leur vie durant des gens qui imitent et qui répètent.
Ils attendent que les
autres (ceux du troisième groupe) leur montrent le chemin à suivre. Ils osent rarement innover
et lorsqu’ils s’engagent, c’est toujours en référence aux idées émises par des gens
qu’ils considèrent comme leur modèle ou leur leader.
Ce groupe est celui qui pose le
plus de problème dans la mesure où tout en voulant s’éloigner de la masse, il cherche à
s’accrocher à des leaders pour s’élever socialement et spirituellement.
Les membres de ce groupe se
définissent et militent en se référant au parcours d’une femme ou d’un homme parce qu’ils n’ont pas eux-mêmes d’idées phares à défendre.
C’est dans ce groupe que l’on compte
les pro MOBUTU, pro KABILA, pro occidentaux, pro capitalistes, pro communistes, etc. Ils ont besoin de leaders pour exister car ils n’existent pas par eux-mêmes.
Vient le troisième groupe dans lequel se
trouvent des femmes et des hommes qui érigent leurs propres idées comme des murs d’un édifice. Ce sont des précurseurs qui ne sont pas toujours bien compris par la société, surtout au début de
leur engagement.
C’est dans ce groupe que l’on compte
des leaders originaux et des libérateurs comme Jésus, Mahomet, Kimbangu, Jeanne d’Arc, Kimpa Vita, Mao, Kasa-Vubu, Martin Luther King, Nelson Mandela, etc…
Lorsque la société est
dirigée par un membre de ce groupe, le pays se développe harmonieusement et il s’élève spirituellement et culturellement. Mais lorsque le leader vient du groupe intermédiaire ou de la masse
sans, au préalable, avoir été sérieusement formé pour diriger (to
manage) le peuple, la société entre inévitablement dans une phase d’ébullition, d’instabilité et de
crise. C’est dans cette phase que se trouve actuellement un pays comme la RD Congo.
Pour assurer le développement et la paix
sociale, chaque pays africain doit veiller à ce que le leader soit un membre appartenant au troisième groupe, qu’il soit celui qui a déjà réfléchi en profondeur à son futur rôle ou encore celui
qui a reçu une formation adéquate et conséquente. Si le poisson pourrit par la tête, la société se détruit par le sommet ».
Dans notre pays, le jeu démocratique y est
purement formel, du fait du clientélisme structurel et l’héritage laissé par les 32 ans du mobutisme. L’impunité et la corruption ont fini par enrayer tout espoir d’un Etat démocratique. Les
hommes politiques et la plupart des intellectuels roulent pour eux-mêmes au lieu de rouler prioritairement pour les intérêts du peuple.
Là où l’on s’attendrait à un minimum de
justice sociale et à une politique de redistribution, c’est le silence que le peuple recueille. Au comble de tout, cette indifférence est poussée à son paroxysme.
Il ne faut jamais compter sur
l’argent des autres pour développer un pays
Il ne faut jamais compter sur l’argent
des autres pour développer un pays. Hélas, nombre d’intellectuels congolais, qui n’ont pas le sens de l’histoire, chez qui le manque de recul et l’esprit critique font défaut, tablent sur
l’argent étranger (d’abord occidental et maintenant chinois) pour amorcer le développement de leur pays.
Mais que feront-ils si d’aventure les Chinois
changent d’avis (simple hypothèse bien entendu) ? A l’image de Louis MICHEL qui a qualifié en 2006 Joseph KABANGE (KABILA) d’espoir pour le
Congo, une catégorie d’intellectuels congolais glorifient l’actuel chef de l’Etat pour l’initiative des cinq chantiers qu’il a initiée.
Non seulement ces intellectuels oublient que
les travaux publics sont dans l’ordre normal du fonctionnement d’un gouvernement mais, en plus, ces intellectuels-là sont incapables de penser que d’autres Congolais peuvent faire mieux et plus
sans endetter le pays pour des générations futures.
Ils sont incapables de réaliser que les cinq
chantiers ne sont pas initiés avec l’argent privé de Joseph KABANGE, que c’est plutôt l’Etat congolais qui s’engage et le président Joseph KABANGE n’a aucun
mérite pour cela.
Au
contraire, sa politique rétrograde de troc place le Congo dans une situation ridicule
car les Chinois vont, au final, puiser plus de ressources naturelles qu’ils ne paieront. C’est là une évidence qu’aucun Congolais sensé ou raisonnable ne conteste.
La dette du Congo sera énorme dans vingt à
trente ans lorsque Joseph KABANGE et les siens auront déjà quitté le pouvoir. Nous souvenons nous du tort que le maréchal MOBUTU et sa clique des voyous et des truands (des fossoyeurs de
l’économie congolaise) ont occasionné à la République à cause de la politique des "tombeaux blanchis" appelée
également "safaris industriels" ? Non.
L’argent des Chinois renforcera la
dépendance de notre pays. Après les Occidentaux, ce sont maintenant les Chinois qui dominent financièrement l’économie congolaise. Quel gâchis ! Où se trouvent notre dignité et notre fierté ? Y
pense-t-on seulement ?
Des pays colonialistes comme l’Espagne et le
Portugal n’amorçaient pas leur développement économique aussi longtemps qu’ils étaient financés par l’argent étranger (Angleterre). C’est, maintenant, dans le cadre de l’Union européenne
(années 1980-2009) que ces pays se développent avec leur propre argent venu en partie des transferts de fonds des immigrés.
Un pays qui souhaite
amorcer un décollage économique doit avant tout compter sur un capital national. Or, un tel capital nécessite qu’il y ait la paix dans le pays. Avons-nous la paix au Congo avec les 6'000.000 de
victimes et la répétition des guerres à l’est de la République que Joseph KABANGE et son gouvernement sont incapables de gagner ?
Evidemment que non ! Alors, sur quelle
base doit-on adhérer à un régime incompétent et irresponsable qui laisse massacrer ses propres populations et tolère la prédation et le pillage des ressources naturelles
?
On ne développe pas un pays avec l’argent que
l’on n’a pas travaillé soi-même, en tout cas pas avec l’argent emprunté aux autres. On ne se défend pas efficacement avec les armes des autres et les pays développés ne vendront jamais aux
Congolais leurs armes les plus perfectionnées, qu’ils appellent "armes de destruction massive", que le président BUSH n’a pas trouvées en
Irak.
Après cette précision
entre les intellectuels de pacotille qui passent leur temps à guetter les possibilités de se rapprocher du pourvoir et à jeter jour et nuit des fleurs à Joseph KABANGE, il est temps de dire
qu’il convient de privilégier la recherche de la paix et le développement par le capital national. L’apport extérieur doit être un simple appui pour éviter que les pays étrangers pillent les
ressources naturelles sans état d’âme et sans une réelle contrepartie.
Il appartient à l’État congolais de savoir
défendre ses propres intérêts au lieu de continuer à vendre ses ressources naturelles à vil prix et de glorifier vilainement les cinq chantiers qui s’inscrivent dans une stratégie électorale –
sinon électoraliste – de courte vue.
En guise de
conclusion
Un intellectuel est celui qui
s’investit pour son pays, dans son domaine de prédilection. En tout cas il n’est pas celui qui spécule à longueur de journée, qui pérore et multiple des articles et des conférences pour jeter
des fleurs à un pouvoir tyrannique et incompétent (responsables de six millions de victimes congolaises) afin de se faire remarquer.
En RD Congo, il y a une fracture réelle et
profonde entre ceux qui poursuivent leur bonheur immédiat et égoïste – peu importe les moyens utilisés ou à utiliser pour y parvenir – et ceux qui se battent pour la réalisation du bonheur
collectif.
Dr Fweley Diangitukwa