Le patriotisme congolais à travers les chansons (2e partie)
LE PATRIOTISME CONGOLAIS A TRAVERS LES CHANSONS
CAS DE L’ORCHESTRE AFRICAN JAZZ (2ème Partie)
Après avoir circoncis le patriotisme de l’African Jazz de façon générale, nous allons passer à présent à l’interprétation littéraire de quelques-unes de ses chansons pour découvrir le sentiment patriotique tel que nous l’avons exprimé dans le titre. Nous nous excusons pour la transcription de certains passages de chansons. Nous sollicitons votre concours pour les compléter ou, éventuellement corriger les erreurs.
Table ronde, Table ronde
Table ronde, Indépendance
Kumisanga
Ye na Bolya
Na Delport
Na Lopes
Mu-Dingayi
Na Ilunga
Mpe Likinda
Na Bayize
Na Mama na Sangara
Bolikango
Kashamura
Ye na Kibwe
Ye na Kibwe
Ye na Tshombe
Na Kasongo
O Table ronde
Cette chanson met en exergue la Table ronde de Bruxelles. Les délégués à cette table ronde avaient un objectif commun. Après avoir répété trois fois de suite le mot Table Ronde, on dévoile cet objectif qui était celui de ramener coûte que coûte l’indépendance. Pour rappel, le meeting manqué de l’Abako le 4 janvier 1959 à la place YMCA fut un détonateur. Les Congolais furent tués par les balles des forces de l’ordre du pouvoir colonial. La série continue encore de nos jours avec notre propre armée qui massacre ses frères et sœurs parce qu’ils réclament leurs droits les plus élémentaires. Le rôle d’une armée est de préserver la sécurité du territoire national et de le protéger contre toute agression extérieure qui mettrait en péril la vie de ses citoyens. Au moment où notre pays est agressé et qu’on cherche des vaillants soldats au front pour préserver notre intégrité territoriale, il y a une armée qui se plait à tuer son propre peuple et à faire la sécurité de certains individus. La force d’une armée réside dans sa capacité d’acculer l’ennemi et non de tuer sa population.
Fermons cette parenthèse pour revenir au meeting manqué de l’Abako où les choses vont davantage se compliquer avec l’équipe de V.Club qui venait de subir une cinglante défaite lui imposée par celle de Mikado. Les supporters déçus se mêlent à cette révolte populaire et ce fut l’embrasement. Léopoldville pleurait ce jour-là plusieurs dizaines de morts. La précipitation de tous ces événements ont été à la base de la convocation de la Table ronde.
Ouvrons une autre parenthèse pour souligner le fait qu’à part les martyrs de l’indépendance du 4 janvier 1959, la République démocratique du Congo continue à enregistrer d’autres martyrs. La liste ne fait que s’allonger avec les «martyrs» des droits humains constamment violés, de l’intolérance politique, de la guerre injustement imposée à l’est du pays, de la faim et de la famine. Nous citons l’exemple de Floribert Chebeya, Fidèle Bazana, Armand Tungulu, les combattants de l’UDPS martyrs des élections, nos mamans et nos sœurs constamment violées et massacrées. Le sang de ces martyrs crie vengeance devant Dieu. Caïn avait tué Abel, mais c’est Dieu qui l’avait vengé. La colère de Dieu est lente, mais elle finit toujours par s’éclater.
En effet, la gronde et les émeutes qui avaient occasionné mort d’hommes, ont précipité notre indépendance. La Belgique avait fini par céder, car il n’y avait plus une autre alternative. La suite de la chanson est une longue liste des participants européens et congolais à cette table ronde. On cite Paul Bolya de Pnp, Moise Tshombe de Conakat, Anicet Kashamura de la Cerea, Nguvulu du Parti du peuple, Jean Bolikango de l’Assoreco et consorts. Du côté de la Belgique, on cite Henri Delport, Buiseret, Rolin,, Lilar, Haye, De Schrijver, De Saeger, Scheyven. On ne peut pas cesser de répéter que tous ces partis politiques avaient mis de côté leurs querelles intestines pour former un front commun avec un seul objectif. Aujourd’hui les partis politiques de l’opposition peinent à se mettre d’accord pour la conquête du pouvoir. On privilégie les intérêts personnels en lieu et place de ceux du peuple congolais. L’opposition congolaise est rongée par le virus de la division, des querelles intestines et de la trahison. Souvent on est opposant le matin et la soir, on rejoint le camp au pouvoir. Qui roule pour qui? Difficile de le savoir. Dans l’opposition, on ne parle pas le même langage, car il y règne un climat de méfiance. La phrase magique, c’est toujours «Ôte-toi de là que je m’y mette» sans tenir compte de la misère de la population.
Il y a eu au Congo plusieurs autres tables rondes à part celle de Bruxelles. Quels ont été résultats? Ont-elles suivi l’exemple de ces premiers leaders politiques partis à Bruxelles pour défendre notre pays?
INDÉPENDANCE CHA CHA, PAR KABASELE TSHAMALA
Indépendance cha cha, tozwi e /Nous avons obtenu l’indépendance
Oh kimpwanza cha cha, tubakidi / Nous voici enfin libres
Oh Table ronde cha cha, ba gagner / Nous avons gagné à la Table ronde
Oh dipanda cha cha, tozwi e /Vive l’indépendance que nous avons gagnée
Assoreco na Abako, Bayokani
Na Conakat na Cartel, Balingani na front commun
Bolikango, Kasavubu Me Lumumba na Kalonji, Bolya, Tshombe
Kamitatu, oh Essandja, Mbuta Kanza
Na MNC, na Ugeco, Abazi na PDC
Na PSA na African Jazz na Table ronde mpe ba gané
Indépendance cha cha créée par Roger Izeidi le 20 janvier 1960 et signée Kabasele Tshamala a été enregistrée en Belgique lors des travaux de la Table ronde. Nous avons déjà parlé plus haut des circonstances dans lesquelles cette chanson avait été improvisée. Elle a été exécutée en public le 30 juin 1960. Elle est devenue le symbole de l’émancipation des années 60. La chanson célèbre la libération pacifique et appelle à l’unité de tous les Congolais en Lingala, Tshiluba et Kikongo. On cite ici les leaders des partis politiques de l’époque. Quelqu’un me dira que la chanson contient des dédicaces. Bien sûr! Le phénomène Mabanga ne date pas d’aujourd’hui. Ici, les choses sont faites de manière beaucoup plus intelligente et propre. On cite les noms des leaders politiques à la Table ronde pour leurs exploits en nous ramenant l’indépendance et non pour un profit personnel ou celui de son parti politique. Aucun nom n’a été cité ici pour rapporter 500 à 2000 Euros aux musiciens de l’African Jazz.
Pour paraphraser le professeur Alain Mabanckou (4), l’indépendance dans cette chanson célèbre d’abord et avant tout le départ du Colon ou du Blanc, le droit des Africains de gérer eux-mêmes leur continent. Aujourd’hui, pouvons-nous affirmer la main sur le cœur que les Africains gèrent eux-mêmes leur continent ? La réponse est sans doute négative. Certaines puissances coloniales très nostalgiques continuent encore à nous diriger en plaçant à la tête de nos pays des dirigeants fantoches qu’’ils peuvent facilement manipuler et qui peuvent servir leurs intérêts. Elles ont toujours un mot à dire dans tout ce qui passe dans nos pays en recourant à une diplomatie de complaisance. Elles créent des foyers de tensions dans les pays africains, allument un feu qu’’elles sont souvent incapables d’éteindre. Aujourd’hui encore, plusieurs pays africains sont dirigés par des monarques qui ont conquis le pouvoir militairement ou par des élections frauduleuses avec la bénédiction de l’Occident. Une fois mort, ils passent le flambeau à leurs fils. Cette monarchie est devenue une nouvelle forme de colonisation de l’homme noir par l’homme noir avec la complicité du colon. Je suis d’avis que plusieurs pays colonisateurs ne sont pas effectivement partis de l’Afrique pour qu’elle reprenne son vrai chemin. L’indépendance que nous avons gagnée n’était pas une véritable indépendance, mais une simple formalité sur papier. C’est du moins mon point de vue.
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4. Alain Mabanckou, professeur de littérature francophone à l’université de Californie-Los Angeles (Ucla). Indépendance cha cha, journal Libération
TOPONAKI BINO BOYOKANA, PAR KABASELE TSHAMALA
Mema ngai dit e nakende na Table ronde
Nalingi ekolo na ngai na motema nkombo Congo
Mema ngai dit e nakende na Table ronde ngo
Toponaki bino mpo topesaki bino mitema
Mema ngai dit e nakende na Table ronde ngo
Mokongo, Mongala, Kasai, Swahili ndeko
Mema ngai dit e nakende na Table ronde ngo
Toboyi kobomana, bokende koyokana tata
Nalingi ekolo na ngai na motema nkombo Congo
Batela ekolo ya Congo oh mawa Nzambe
Yahwe na biso tata,
Batela ekolo ya Congo oh
Ah motema pasi Nzambe yoka mawa
Batela Ekolo ya Congo oh
Tolingi toyokana, tovanda moto moko
Batela Ekolo ya Congo oh
Ah, ah Nzambe na biso mawa mawa ngo
Nous ressentons à travers cette chanson la joie, l’empressement de Kabasele à se rendre à la Table ronde de Bruxelles.et son indéfectible attachement à son pays le Congo. Dans le troisième vers, il réitère sa confiance aux délégués retenus pour se rendre à cette négociation. Parmi eux, on retrouve les représentants des différentes provinces du pays. Qu’on soit originaire de Bandundu, Bas-Congo, Équateur, les deux Kasaï ou le Katanga, les deux Kivu, nous sommes des Congolais et des frères. On y va non pour des intérêts partisans ou régionaux, mais pour l’intérêt du pays. Mettons de côté nos querelles intestines, le profit personnel et visons l’intérêt supérieur de la nation. Pourquoi nous entretuer au lieu de lutter ensemble pour un Congo fort et uni?
Je voudrais à mon tour m’adresser ici aux Honorables Députés. Vous êtes les délégués du peuple à l’Assemblée nationale. Lorsque vous vous retrouvez au Palais du peuple, oubliez les couleurs du PPRD, de l’UDPS, de l’UNC et autres. Votre unique préoccupation doit être l’intérêt du peuple qui vous a confié le pouvoir. Vous n’appartenez plus à votre parti ou à votre plate-forme politique, mais au peuple souverain. Durant les travaux de la Table ronde, toutes les délégations congolaises avaient formé un front commun. Elles avaient un seul engagement solennel, c’est-à-dire, unir leurs efforts pour l’accession du Congo à l’indépendance. Il doit en être de même pour les travaux de l’Assemblée nationale. Votre engagement doit être le bien-être de la population, l’établissement d’un état de droit, l’avancement du pays sur la voie de la démocratie et le respect de la dignité humaine. Sans population, sans une base électorale, on ne peut pas être député.
La politique est la meilleure entreprise qui paie très bien au Congo. Vous voulez gagner 13.000$ USD par mois, utilisez alors tous les moyens possible pour devenir député ou sénateur. Au Congo, on fait de la politique pour s’enrichir, rechercher le profit personnel et non pour servir ceux qui vous ont élu ou ont placé leur confiance en votre personne. Au moment de faire la propagande, de rechercher des voix, on fait la courbette devant les électeurs et on leur fait même des promesses irréalisables. Une fois au pouvoir, on leur tourne le dos et on ne voit plus les intérêts du peuple, mais plutôt les siens ou ceux de son parti. Le peuple est chosifié ou clochardisé. On n’a plus aucun compte à lui rendre. Comment peut-on parler d’une république démocratique en faisant fi de la signification même de la démocratie?
Peuple Congolais, devons-nous continuer à élire des députés incompétents et corruptibles qui vont au Palais du peuple pour dormir ou applaudir au lieu de lancer des vrais débats démocratiques ou mettre de l’avant des lois justes qui feront avancer notre pays? Si les délégués de la Table Ronde de Bruxelles nous ont ramené l’indépendance, il doit en être autant pour nos élus au palais du peuple. Ils doivent nous ramener la paix, la démocratie, la justice, le respect des droits de la personne et consorts. Sinon, ils sont indignes d’être appelés les élus du peuple.
Dans un pays qui se dit démocratique, toutes les personnes qui occupent une parcelle d’autorité politique doivent avoir des comptes à rendre au peuple. Il est le seul détenteur du pouvoir ou le souverain primaire. Tous ceux qui sont au pouvoir ne sont que des simples représentants. Réveillons-nous de notre profond sommeil et ouvrons l’œil, le bon alors. L’heure a sonné pour que le peuple récupère son pouvoir longtemps confisqué depuis la colonisation.
(A SUIVRE)
ZÉPHYRIN KIRIKA
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