Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par Thomas Luhaka Losendjola

L'histoire de ce jour commence en 1983. Freddy Mayaula, cet ancien footballeur de Vita Club et des Léopards devenu musicien après ses études en informatique à Genève, est dans la voiture de son beau-frère, le mari de sa petite-sœur. Il lui demande de faire un détour à Lingwala parce qu'il aimerait saluer un vieux à lui qui habite sur l'avenue Isangi.

Arrivés sur les lieux, ils entrent dans la parcelle; on leur donne deux chaises en leur demandant de patienter un peu. Après quelques minutes, un monsieur sort du " Kikoso " (endroit aménagé pour se laver dans les parcelles kinoises) en babouches, un pagne autour des hanches, un essuie-main au coup et un seau d'eau vide à la main. Le jeune accompagnateur de Freddy Mayaula est surpris et choqué de reconnaître l'une des grandes stars de la musique congolaise: Simaro Lutumba Masiya. Ce dernier salue ses visiteurs et rentre dans la maison pour s'habiller.

 

Lutumba ressort et s'installe avec ses visiteurs. Freddy lui présente son accompagnateur. Jean-Marie Elesse, mon beau-frère. Il est conseiller administratif et financier au service de la maintenance de la Présidence de la République; service qui dépendait de la Maison civile du Chef de l'État. A cette époque, cette Maison civile du Président Mobutu est gérée par un officier belge, membre de la famille royale (certains affirmaient même que c'était le demi-frère du Roi Baudouin), le colonel Jean Powis De Tenbossche.

Jean-Marie Elesse, avec la franchise de la Jeunesse (il a 32 ans en 1983), va demander à Lutumba comment ça se fait qu'une grande vedette comme lui habite encore dans une annexe dans la parcelle familiale ? Lutumba, gêné, lui répond que les musiciens congolais (zaïrois à l'époque) sont exploités par des producteurs malhonnêtes.

Le jeune visiteur va alors faire une offre étonnante à Lutumba. Si vous acceptez que je produise votre prochain album, je vous achèterai une maison. Dubitatif, Simaro met un terme à la conversation en disant seulement " on va en parler ".

Trois mois après cet échange, Simaro Lutumba envoie son petit Freddy Mayaula demander à son beau-frère s'il était sérieux lorsqu'il lui avait fait l'offre de le produire et si cette offre est toujours valable. Mayaula ramène alors Jean-Marie Elesse qui, malgré son manque total d'expérience dans le domaine de la production musicale, va confirmer sa proposition.

 

Simaro les informe alors qu'il travaille déjà sur un projet d'un nouvel album. Mais il pose une seule condition. En sus de l'accord qui le lie (production d'un nouvel album contre achat d'une maison), Elesse doit s'engager à prendre en charge tous les musiciens les jours de répétition (transport et repas) et payer leurs cachets après l'enregistrement de l'album. Lutumba ne souhaite pas recevoir des plaintes de ses musiciens à la sortie de l'album. Notre apprenti producteur accepte.

Il serait peut-être judicieux, pour bien comprendre la suite de cette histoire, de connaître le contexte dans lequel évolue l'orchestre OK Jazz et les relations en ce moment-là (1983-1984) qui existent entre Luambo Makiadi et Lutumba Simaro.

En réalité, il existe deux orchestres OK Jazz. En effet, depuis quelques mois, Franco Luambo Makiadi a amené en Europe une grande partie de l'orchestre OK Jazz et a décidé de s'installer à Bruxelles. Il a confié la gestion de l'autre partie de l'orchestre, restée à Kinshasa, à Lutumba avec pour mission d'honorer les contrats des concerts au pays. C'est durant cette période où Lutumba gère l'OK Jazz/Kinshasa que se déroule notre histoire.

 

Pour son nouvel album, Lutumba a besoin d'une voix particulière qu'il cherche à travers les auditions qu'il organise. Le hasard fera en sorte que le fils aîné de Lutumba, Jean-Paul, va présenter à son père son ami chanteur qui répond au nom de Charles Ndombasi. Lutumba est ébloui par la qualité et le timbre particulier de la voix de ce jeune chanteur. Voix qui lui rappelle un peu celle de Sam Mangwana. Lutumba décide de le recruter et ils commencent immédiatement les répétitions. Conformément aux accords, le producteur Elesse prend en charge les transports et les repas des musiciens les jours de répétition.

Après des heures et des heures de répétition (Lutumba est un perfectionniste) et d'un travail harassant, Lutumba considère que le groupe est fin prêt pour l'enregistrement.

Après concertation, Lutumba et son producteur décident d'aller enregistrer au Studio IAD (Industrie Africaine du Disque) de Brazzaville, qui venait d'ouvrir ses portes en cette année 1983 avec ses 24 pistes.

Un incident malencontreux va se produire dans le studio le jour de l'enregistrement. Le jeune chanteur Charles Ndombasi n'arrive plus à chanter, il est bloqué ! Envoûtement ou stress ? Le producteur Elesse va clore le débat en disant que c'est juste le stress parce que c'est la première fois que ce jeune chanteur se retrouve dans un studio d'enregistrement. Il décide alors d'aller le divertir dans les bars et boîtes de nuit de Brazzaville. Très tard la nuit, Elesse ramène le chanteur dans le studio où l'ingénieur du son, Freddy Kebano, et son équipe les attendaient toujours, sur instruction du producteur. Ndombasi va réussir à chanter à la perfection du premier coup. Lutumba est très satisfait de la prestation.

L'album de Lutumba va sortir avec une chanson-phare qui va entrer dans l'anthologie de la musique congolaise. C'est la chanson Maya. A la sortie de cet album et à la suite de son succès phénoménal, le jeune chanteur Charles Ndombasi Lassa (il a 22 ans en 1983) va lui aussi connaître un succès époustouflant et entrera, par la grande porte, dans l'histoire de la musique congolaise sous le surnom de " Carlyto" ! ( Carlyto est le diminutif de Carlos qui veut dire Charles en portugais).

 

Les kinois sombrent sous le charme de la chanson Maya alors que de l'autre côté du fleuve Congo les brazzavillois dansent toutes les nuits au rythme de la chanson Kitikwala du même album. Franco Luambo Makiadi, le patron de l'OK Jazz, est secoué par le succès de l'album Maya de Lutumba. A Bruxelles, il réunit son état-major et hausse le ton: " Nous sommes en train de dormir ici alors que Lutumba et l'OK Jazz de Kinshasa travaillent comme des malades. Le résultat est là : ils cartonnent dans les hit-parades. Nous devons réagir."

Que va faire Luambo Makiadi pour prouver à Lutumba, aux musiciens de l'OK Jazz et à tous les mélomanes que c'est lui le Grand Maître, Oncle Yorgho, le Big Boss ? Franco Luambo Makiadi va s'enfermer dans son appartement pour chercher l'inspiration !

Et il va surprendre tout le monde !

A suivre !

Thomas Luhaka Losendjola

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Merci encore cher Thomas Luhaka. J'ai eu la chance de côtoyer le Poète Lutumba qui était un grand frère et qui me prodiguait à chaque fois des conseils.<br /> Nous avions échangé un jour concernant l'album Maya et il m'avait dit exactement ceci. En tant que Auteur-compositeur, il s'attendait plus au succès de la chanson Kitikwala dont le contenu touchait chaque individu que d'une chanson d'amour (Maya)<br /> Et un autre jour à Paris (Métro Nation où ils étaient logés Simaro, Ndombe, Joscky et Makosso en 2003-2004), je lui ai posé une question sur une phrase contenue dans la chanson Mabele. "Mokolo nakokufa kaka ekobeta, Tshita Tshima (Jean-Jean pour les intimes et décédé depuis) olobela batu maloba na ngai ya suka, soki mopaya aye........." Je lui ai dit ceci, Tshita Tshima étant mort avant vous, qui avez-vous choisi pour la mission que vous lui avez confiée? J'ai profité pour lui dire d'en faire une chanson en guise de réponse. Non seulement, le vieux Simaro prodiguait de sages conseils mais il écoutait aussi et prenait au séreiux certaines suggestions.
Répondre
A
Au cinéma, on parle souvent de derrière la scène, pour parler de l'environnement qui a permis de filmer la scène. Ce qui nous est conté ici est la version musicale de "behind the scene". Les mélomanes qui apprécient les chansons ne savent pas toujours dans quelles circonstances tel ou tel morceau est né. <br /> La chanson congolaise devrait faire l'objet des thèses par les étudiants; y'a tellement à dire.<br /> Bravo.
Répondre
S
Merveilleuse narration, Tom. <br /> Sur le fond comme sur la forme, à l'image de nos conteurs d'autrefois. Et quel teasing! <br /> Je suis sous le charme. Vivement la suite...
Répondre