Évolution des instruments et accessoires de musique de 1950 à nos jours
Évolution des instruments et accessoires de musique de 1950 à nos jours
L’instrument est l’outil qui permet au musicien de faire son métier. Il est ensuite associé à la voix humaine pour coller à l’œuvre tous les traits artistiques sans lesquels le texte seul n’aurait pas la dimension qu’on lui connaîtrait. Sans lui, la chanson ne saurait exprimer toutes ces sensations fortes qui soulèvent les cœurs des mélomanes et élèvent leur passion.
Aujourd’hui, la technologie inonde le monde de l’art de toutes sortes de nouveaux gadgets. Leur intrusion entraîne la disparition de certains instruments considérés comme désuets. A l’instar des vétérans sommés de se retirer, plusieurs matériels de musique sont au Congo placés au musée alors que sous d’autres cieux ils continuent encore d’émerveiller le public.
Dans les années 50, le Belge Bill Alexandre introduit la guitare électrique. Avec ses immenses capacités sonores, cet instrument révolutionne la musique congolaise moderne. Dès lors, rien ne peut se faire sans elle. Tout se passe par lui et autour de lui. Il devient illico la pièce maîtresse et l’élément majeur du dispositif instrumental des groupes congolais, le socle sur lequel repose la musique. Les instruments à cordes dans leur ensemble vont dès lors entrer dans une ère de profondes mutations avec des répercussions immédiates dans la musique qui en subit les conséquences. La guitare acoustique disparaît dans les productions artistiques. Un instrument traditionnel, la sanza ou likembe, s’infiltre dans l’univers musical. Il ne s’y identifie pas même si Antoine Moundanda (Nzela ya Ndolo, Mabele ya Polo) y a jeté tout son dévolu pour sa vulgarisation. D’ailleurs, le groupe Konono et Debonheur du folklore bantandu ont utilisé sa version électrique. La présence de l’accordéon se remarque par le biais de l’unique accordéoniste congolais : Camille Feruzi (Tika kolela chérie, Emiyama, Na motindeli mokanda). Même dans les reprises relookées de ses chansons (Mbanda nasali nini, Kuyina, Siluvangi wapi accordéon) l’accordéon a vibré. Dans les années 80, Pour les besoins de sa chanson Gida, Lita Bembo fait appel à son expertise.
Les années 50 marquent aussi la première innovation musicale qui modifie les partitions de la guitare rythmique. La mi-composée est née. Aussi drôle que cela puisse paraître, cette découverte divise le monde musical sur sa paternité. Plusieurs écrits dont Rumba on the river présentent l’ancien séminariste Zacharie Elenga plus connu sous le sobriquet de Jhimmy la Hawaïenne comme étant le géniteur. D’autres comme Manda Tchebwa attribue sa création à Déchaud Mwamba. Pour ajouter à la confusion, Michelino Mavatiku s’invite dans l’imbroglio en affirmant en être l’auteur. Malgré cette agitation inexpliquée, la musique congolaise en est sortie ragaillardie. Cette guitare si particulière connaît toutefois son apogée dans les années 70. Malgré les efforts fournis plus tard par le professeur Vata Mombasa aussi par les autres groupes de l’écurie Vévé (Kiam, Kamale, Lipua-Lipua) pour sa pérennisation, la guitare mi-composée n’a pas pu résister à l’usure et au désintéressement.
Succédant aux fifties, les années 60 sont décisives. Cette décennie complète la précédente par la régularité dans le changement aussi par la poussée des recherches. Le génie créateur de l’artiste-musicien congolais s’étale au grand jour. Au tout début, Nico en quête de nouvelles sonorités, introduit la guitare hawaïenne remarquable par le son chantant qui le caractérise. Elle magnifie les chansons Ndaya Paradis et Mambo hawaïenne puis plus tard Pauline et Nakeyi Abidjan. A l’époque, la guitare venue d’Hawaï ne rencontre pas un terrain fertile encore moins des adeptes. Seul le Matadien Depoutrou de Grand Micky l’adopte pour donner à cet instrument la place qui lui revient dans la musique congolaise. Après plusieurs années de léthargie, Roger Lokumu dit Roger d’Hawaï sort l’instrument des placards vers 2003 pour accompagner Emeneya dans une chanson publicitaire (Faire la douane autrement) écrite pour l’Ofida.
Maître dans l’art de l’innovation, l’artiste-musicien congolais a depuis longtemps apprivoisé la guitare électrique. Il l’a améliorée, a trouvé de nouveaux sons et créé de nouvelles tendances. Aussi voit-on se profiler à l’horizon de l’art d’Orphée au Congo deux styles différents dans la manière de jouer la guitare solo. Docteur Nico, dieu de la guitare, emballe son monde par la finesse de sa touche tandis que Luambo Franco, sorcier de la guitare, se distingue par son style velouté. Puis vient s’ajouter un troisième larron, Manuaku Waku dit le magicien de la guitare. Ce dernier réussit à faire la symbiose des deux styles précités et met à jour une troisième école qui rompt avec cette bipolarité qui a toujours prévalu.
L’année 1964 est à marquer d’une pierre blanche. Faugus Izeidi, de retour du Cameroun explore les fondements de la musique congolaise. Il finit par découvrir le chaînon manquant dans la structure même de la chanson congolaise. Il trouve une sorte de passerelle entre le soliste et l’accompagnateur. Cette guitare médiane joue un rôle crucial, celui de combler les sons non exprimés par les guitares solo et rythmique. Faugus donne à sa trouvaille le nom de mi-solo. Aussitôt, le nombre de guitares dans un groupe musical passe de trois à quatre soit solo, rythmique, mi-solo et basse. Une vraie révolution ! Indispensable, la mi-solo contrairement à la mi-composé se place au cœur même du dispositif instrumental des groupes musicaux congolais. Aucun groupe ne peut s’en passer.
A la fin des années 60 se cristallise une nouvelle tendance, celle de la non utilisation des instruments à vent. Une nette césure s’affiche dans la philosophie de certains groupes dans l’usage du matériel de musique. Les orchestres comme Thu Zahina, Zaïko, Isifi, Stukas, Symba, Shama-Shama, Grand Zaïko ou Cavacha n’emploient ni saxophone ni trompette, ni flute ni trombone. Ils sont remplacés par des cris qui plus tard vont donner naissance à un genre d’artiste nouveau : l’atalaku. D’autres par contre (Négro Succès, Bella-Bella, Grands Maquisards, Kamale, Lipua-Lipua) continuent dans la lignée des anciens. Cette ambivalence démontre à suffisance la préférence d’un grand nombre de groupes des jeunes dans leur choix du matériel. Mais plus tard avec la disparition de Luambo et la maladie de Tabu Ley, les instruments à vents disparaissent presque totalement du circuit musical n’en déplaise aux Bana OK et à tous ceux qui se réclament d’eux. La génération Wenge adoubée par le ndombolo ne montre aucun intérêt à la section cuivre. Les sons mélodieux de Jean-Serge Essous, Beya Maduma, Empompo, Barami ou Biolo tout comme la flute de Michel Ngwalali ne s’apprécient plus désormais qu’à travers les œuvres phonographiques où ils sont gravés pour l’éternité.
La décennie 70 voit la disparition du maracas. Malgré la dextérité de Roger Izeidi et Gaspy, cet accessoire de musique perd peu à peu sa place. Les deux célèbres marcasites n’ont pas fait des émules. La batterie qui a pris sa place est beaucoup plus présente et plus impressionnante. Le ″drum″ dont l’expression est remarquable dans les œuvres phonographiques fait quasiment jeu égal avec la guitare électrique en marquant sa présence dans la cadence de la chanson. Elle a apporté une dimension nouvelle et un souffle nouveau dans le fond et met la sauce dans le tempo. Si Seskain Molenga fait figure de pionnier dans l’harmonisation de cet instrument et dans la consolidation de sa place dans la musique congolaise, Meridjo se distingue en créant en 1973 masini ya Kauka qui est le socle rythmique sur lequel repose la musique des jeunes d’aujourd’hui. Cette décennie 70 voit aussi l’apport de plusieurs artistes qui innovent en introduisant des instruments et accessoires nouveaux notamment : la pédale wah-wah (Tabu Ley), la guitare à double manche (Manuaku), l’orgue (Kiamuangana) sans oublier la cloche (Mambo Ley), le sifflet (Lita Bembo) ou le lokole (Yola Lokole). Un vieil instrument revient à la mode : la guitare sèche ou acoustique avec l’OK Jazz (Boma l’heure, Mosala etindi) et l’Afrisa (Mongali, Leki ya Mongali tosuki wapi ?). L’euphorie n’a pas duré.
Un autre instrument à cordes, la contrebasse, n’a pas échappé à la révolution qui a secoué le monde musical dans l’adaptation de son matériel aux réalités de la modernité. Énorme, l’instrument dépasse parfois la taille du contrebassiste qui le joue. Lorsque la guitare basse est introduite, Muena refuse de l’utiliser dans l’Afrisa International. Rochereau qui va se produire à l’Olympia de Paris ne l’entend pas de cette oreille. Philo Kola supplée cette carence et donne à la guitare à 4 cordes toutes ses lettres de noblesse. Condamné par la modernité et quelque peu dépassé par la réalité de la musique congolaise, la contrebasse disparaît.
En 1982, Zaïko introduit l’animation avec les atalaku et met par ricochet en valeur un instrument traditionnel appelé kinsaka saka ou shaker. Même si la dernière innovation semble venir de Kester Emeneya avec la programmation musicale assistée par ordinateur avec Nzinzi en 1987, le plus grand bouleversement de la musique intervient au début des années 80 avec l’introduction du synthétiseur par le talentueux claveriste Nzenze de Grand Zaïko Wawa. Car le synthé avec sa capacité de créer et de moduler les sons, va s’imposer durablement en remplacement des instruments à vent.
Dans la musique congolaise, le matériel de musique est en perpétuelle mutation. Il n’a cessé de changer et de s’adapter non sans peine aux caprices de la modernité. Comme dans un tableau inachevé, l’art d’Orphée s’est débarrassé d’un grand nombre d’instruments. Le synthé est-il la solution aux défis que s’est lancé l’artiste-musicien congolais pour s’affirmer dans son rôle d’animateur de la société ? On ne s’étonnera pas de voir la disparition d’autres instruments. Il serait curieux de se demander lequel sera la prochaine victime. En attendant se trouvent déjà au musée côte à côte ou pêle-mêle le saxophone, la trompette, le maracas, la sanza et bien d’autres. L’innovation continue son bonhomme de chemin avec tous les changements parfois brutaux qu’elle engendre. Si les instruments à cordes ont encore une longue vie devant eux, la section cuivre a quasiment disparu non sans nostalgie et non sans une certaine amertume.
Samuel Malonga