La Critique Pratique 2: De qui/quoi s’agit-il réellement ?
La Critique Pratique 2: De qui/quoi s’agit-il réellement ?
Il y a au moins trois sortes de chanteurs, comme nous le savons tous : le professionnel, l’amateur et le domestique. Le domestique, c’est nous tous qui depuis l’enfance chantonnions sur le chemin de l’école ou de la rivière. Un jour, alors que je chantonnais : « Yo Jacques osi’obomi mboka likolo ya songi-songi oo o iya », ce garçon qui a l’air kinois fait signe que je dois m’arrêter et me regarde avec dédain. « Tu as dit Jacques ? ». Je ne réponds pas. Je sais qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec mon Jacques et le kinois doit en savoir plus. « Tala movill’oyo. Ce n’est pas Jacques. C’est JeanKe. C’est-à-dire Jean Kembo. Tu n’as jamais entendu parler de Kembo ?» Quel Kembo ? L’avant-centre de V.Club et des Léopards ? – Lui-même. Tu ne sais pas que Bavon Marie-Marie et Kembo ne s’aiment pas à cause de Lucie ? Lucie yaka e ngai na leki na yo tositoboyana e e. Tout le monde connaît cette histoire.
Donc, Jean Kembo s’est laissé insulter comme ça, lui qui chargeait les gardiens de but pour qu’ils tombent dans les filets avec leur balle à l’époque où les arbitres corrompus ne sifflaient pas ça comme une faute ? Si, j’ai déjà entendu parler de Kembo. D’ailleurs pendant un match entre les Léopards et les Black Stars, alors que l’équipe locale encaissait deux buts à zéro et qu’Apolosa était le centre-forward, le public s’est écrié « Bolongola Apolosa ; botiya Kembo ».
Si mon Jacques est vraiment JeanKe, voilà un texte où le nom du visé est prononcé, quoiqu’en abréviation. D’autres mbokela très célèbres ne portent pas de nom. Comment savait-on que le Faux Millionnaire de Kwamy était Franco ? Le texte ne le dit pas. Le compositeur est-il passé sur l’ancêtre d’EnPleinVent pour le déclarer lui-même ? Tala movill’oyo, me dira-t-on. Mais tout le monde le sait. Qui encore serait (vrai ou faux) millionnaire? Mais Kwamy ne dit même pas que le millionnaire est un musicien. Franco, du moins, dans une des présumées réponses, dit dans "Course au pouvoir" : « Oyembi-yembi ngai, mon frère ». Même si le nom n’est pas là, il s’agit de quelqu’un qui a composé une chanson contre lui. Tout le monde sait que Kwamy a quitté l’OK Jazz parce qu’il a exigé une voiture qui ne lui a pas été donnée.Obomi miziki ya bato na lokoso na yo ya kaminion. Mais le nom n’est pas là. La critique pratique conseille qu’on n’interprète pas un texte en disant des choses qui ne sont pas dites dans le texte. L’autre jour, un journaliste a insisté avec Verckys que le millionnaire qui a jeté de l’argent sur la chute de Loufoulakari, c’est lui. Et Verckys lui a dit que ce millionnaire ne pouvait pas être lui, puisque lui, Verckys, n’était pas un millionnaire. Ngai naza na nga millionnaire te ! Youlou ne pouvait donc pas avoir dit que le millionnaire de Loufoulakari, c’est Verckys. Le texte de la chanson ne le nomme pas.
Nous pouvons citer tous les mbokela qui ne portent pas le nom de la personne critiquée, y compris Likala ya Moto, Leki ya Mongali Tosuki Wapi, Tailleur, Mbanda Akoti Kikumbi, etc., etc. Les mabanga font mieux. Si quelqu’un dit Ma’Lili na Lucerne, c’est elle. Didi Kinwani mosombi monene ya mabanga, c’est lui. C’est vrai qu’il est beaucoup plus facile de mettre le nom de quelqu’un qu’on ne critique pas. Mais c’est aussi vrai que beaucoup d’interprétations extratextuelles tapent à côté, y compris Luvumbu Ndoki et Nyama ya Zamba ekoki kokoma nyama ya mboka. July Cuivre nous a dit que des centaines de jeunes filles dans toute la ville de Kinshasa racontaient qu’elles étaient sa Valentine, alors que la chanson fut inspirée par une toute petite fille qui ne s’appelait même pas Valentine.
Et il y a cette vidéo où, chaque fois que Bozi Boziana chante en exemple une de ses nombreuses chansons, le curieux journaliste qui conduit l’entretien veut en savoir plus. De qui parle-t-il ? Et Bozi Boziana dit à chaque fois : « Ezali kaka inspiration ». C’est-à-dire, personne en particulier.
PEDRO