L’importance des étiquettes dans l’analyse poétique
L’importance des étiquettes dans l’analyse poétique
On dit souvent que l’art est le domaine de la subjectivité. Cela est, néanmoins, plus vrai quand on discute de la notion de « beauté » dans l’art. Si je dis qu’un tel texte, une telle chanson, une telle pièce de sculpture, etc., est magnifique, la personne à côté de moi peut rétorquer qu’elle n’y voit rien de magnifique. Voilà pourquoi la discussion dans l’art doit essayer de mettre l’accent sur les étiquettes que l’analyse colle aux outils incorporés dans la création de l’œuvre d’art, même si l’artiste n’en est même pas conscient. Prenons l’exemple des quatre vers suivants :
Loboko ya souci elekaka molayi, mama
Okobaluka na mbeto, tongo eboyi kotana
Otala pe na montre, ngonga eboyi kotambola
Obima libanda mabe, ozonga na ndako mabe
Qu’est ce qui nous fascine dans ces vers? Les trois premiers vers sont une succession d’animismes. On prête à des entités abstraites des velléités propres aux êtres animés : (i) le bras (y compris la main) du souci ; (ii) il refuse de se faire jour (remarquez la forme impersonnelle dans la traduction française où l’aube refuse de se transformer en matin) ; (iii) le temps refuse d’avancer (« ô temps, suspends ton vol »). Il nous faut souligner que le souci et le temps sont beaucoup plus abstraits que le feu qui gémit et l’ombre qui s’épaissit. C'est-à-dire, nous sommes un peu loin d’écouter plus souvent les choses que les êtres de Birago Diop.
Le quatrième vers contient ce qu’on appelle un dilemme. Il faut bien « qu’une porte soit ouverte ou fermée » et quand ce n’est ni l’un ni l’autre, nous avons un problème.
Les quatre vers ci-dessus forment aussi ce qu’on appelle une gradation des vers. C'est-à-dire, les trois animismes disposés l’un après l’autre peuvent nous donner l’impression de monter en crescendo, et le dilemme devient le couronnement de cette gradation. Ce n’est évidemment qu’une illusion, car, en principe, le refus de l’aube de devenir matin (la nuit qui semble s’entêter à durer éternellement) n’est pas plus intense que la longueur du bras du souci, et le refus du temps à s’envoler n’est pas non plus au-dessus du refus de l’aube de se muter en matin.
Les gradations des vers au sein d’une strophe sont rares. Plus fréquentes sont les gradations des mots (souvent des verbes) dans un seul vers. Le président-fondateur lui-même (encore lui, malheureusement), dans un de ces meetings populaires d’avant qu’il ne cessât d’être un magicien, a donné son idée de ce qu’est la poésie, avec cet exemple : telema, sepela, ganga oyemba. Voilà ce qu’on appelle une gradation des mots dans un vers. Exactement quatre verbes qui sont disposés comme s’ils allaient en crescendo, le suivant paraissant plus intense que le précédent, jusqu’au paroxysme. Remarquons aussi le mode impératif des quatre verbes. Ce n’est pas très loin de cette célèbre gradation de Pierre Corneille qui dit : « va, cours, vole et nous venge », bien que, dans ce cas, courir est effectivement plus intense qu’aller, et voler effectivement plus intense que courir (trois verbes de mouvement, à l’impératif), et le quatrième verbe (venger) représente évidemment le paroxysme après l’augmentation de la vitesse dans les trois premiers verbes : l’équivalent de notre dilemme par rapport aux animismes précédents.
(iv) |
Ni dehors ni dedans |
dilemme |
gradation |
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(iii) |
Le temps se refuse à s’envoler |
animisme 3 |
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(ii) |
Il refuse de se faire jour |
animisme 2 |
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(i) |
Le bras du souci est trop allongé |
animisme 1 |
Revenant à nos vers, en conclusion, ce que je voulais dire dans le premier paragraphe de cette petite dissertation, c’est que les étiquettes (la terminologie) que nous avons collées aux outils qui ont façonné nos quatre vers nous permettent de discuter non pas de la beauté de ces vers, mais des étiquettes elles-mêmes. Par exemple, au lieu de dire qu’on est séduit, ou non, par ces vers, on pourrait dire que ce que j’ai appelé animisme doit plutôt s’appeler personnification.
Pedro
Mbawu, nakorécupérer yo, par Lutumba Simaro et l'OK-Jazz