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Publié par Samuel Malonga

Depuis le mardi 14 décembre 2021, la rumba est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Cette danse avait quitté le Kongo sous le nom de nkumba pour revenir plusieurs siècles plus tard au Congo sous l’appellation de rumba. Mais au-delà de sa reconnaissance, cette musique congolaise n’est pas la seule qui avait fait un voyage par-delà les mers. 

Le soukous, une variante de cette même rumba avait traversé l’Atlantique pour s’implanter dans une lointaine terre latine qui s’appelle la Colombie. Les Afro-colombiens ont puisé dans la musique congolaise les éléments nécessaires pour créer la champeta.

 

 

Depuis la nuit des temps, les rythmes musicaux voyagent comme le vent. Ils s'exilent, s’exportent, s’importent à l’emporte-pièce. Si la rumba avait fait un retour remarqué aux sources pour redynamiser l’art d’Orphée au pays de ses ancêtres, le soukous n’était pas en reste. Il était parti s'implanter le moment venu dans les lointaines contrées de la Colombie. Contrairement à la rumba dont la toponymie dérive du kikongo "nkumba" (nombril) qui l’avait engendrée, le soukous avait dans ce paysage culturel complètement changé de nom en devenant la ″champeta″. Ce terme était souvent utilisé d’une manière désobligeante pour s’adresser aux personnes d’ascendance africaine, gens de petites fortunes qui vivaient dans les quartiers éloignés du centre de l’héroïque Carthagène. Pour les uns, il tire son origine de champa″, sorte de machette utilisée dans les champs et qui symbolise le travail. Pour les autres, ce mot vient du terme “champetudo”, autrefois appliqué aux descendants d’Africains pour exprimer la désapprobation de leur culture et de leurs traditions. Cette raison avait fait que la champeta qui est une danse chaude, sensuelle et explosive, soit méprisée par la classe moyenne colombienne parce que considérée comme la musique des voyous et des marginaux.

C’était dans les valises des marins ouest-africains que le soukous, musique-phare à  Kinshasa et Brazzaville, débarqua dans les années 70 dans la ville portuaire de Cartagena de Indias (Carthagène en français) avant de s’étendre dans toute la Caraïbe colombienne. Carthagène fut un centre négrier de grande importance qui avait joué un rôle clé dans la déportation des Noirs. C’est l’Afrique de la Colombie. Beaucoup d’esclaves des îles caribéennes étaient arrivés par là. Autrefois capitale de l’esclavage, la ville est aujourd’hui devenue la capitale de la champeta. Cette danse est issue des rythmes des quartiers populaires de la Caraïbe colombienne. Partie de Carthagène, elle avait atteint Palenque de San Basilio, un village d’affranchis créé par les esclaves marrons qui avaient réussi à se libérer de leurs maîtres au XVIIe siècle. Par le décret royal du roi d’Espagne en 1713, Palenque était le premier ″pueblo″ (ville) noir libre d'Amérique latine.

Considérée d’abord comme une musique folklorique, la champeta est aujourd’hui devenue un vrai phénomène culturel de la côte colombienne. Elle s’est même étendue à d'autres régions particulièrement Barranquilla et Santa Marta. Fortement inspirée de la ″musica africana″, la champeta qui est surtout faite pour être dansée, est un mélange de juju nigérian, du highlife ghanéen et surtout des rythmes congolais particulièrement le soukous et la rumba. Elle se danse seul ou à deux et de façon très sensuelle. C’est la danse de la séduction. Les Colombiens eux-mêmes ne distinguent pas spécialement ces musiques les unes des autres, et ne savent pas précisément de quel pays elles viennent. La champeta a toujours emballé les festivaliers et les carnavaliers sur la côte caraïbe de la Colombie.

 

Lorsqu’elle est dansée, la champeta compte plusieurs dizaines de pas qui imitent essentiellement certaines actions. L’un des pas les plus emblématiques est “el caballito” (le petit cheval) où l’on imite le mouvement de l’équidé. Il y a aussi l’agrafe où la cavalière soulève une jambe et l'accroche à la taille de son partenaire; le lit où l'homme écarte les jambes pour permettre à sa cavalière de passer en-dessous et la vis. Dans la champeta, la cadence rythmique l'emporte sur les lignes mélodiques car la partie chantée n’intéresse nullement les Colombiens. Celle appelée “despeluque“ (sebene au Congo) est la plus prisée puisque c'est la partie de la chanson qui invite à la danse sous l’accompagnement saccadé des guitares.

Les paroles dans la champeta racontaient autrefois le quotidien des Afro-Colombiens, faisaient souvent référence à la politique, aux problèmes sociaux et à un ardent désir de changement. Ainsi, elle était considérée comme une menace pour le gouvernement. Cette musique avait aussi été victime de discrimination pour son expression sexuelle que certains trouvaient vulgaire. La champeta est pour les Afro-Colombiens à la fois cette musique, cette danse, cet art et ce style de vie qu'ils utilisent pour manifester et célébrer leur africanité. La chanteuse Shakira lui avait donné une dimension mondiale lors de sa prestation au show du Super Bowl 2020.

 

 

La ville de Carthagène a accueilli bien des artistes-musiciens congolais notamment Mbilia Bel, Kanda Bongo et Dizzy Mandjeku. Mais c’est surtout Bopol Mansiamina, Lokasa ya Mbongo et son Soukous Star qui y ont laissé une empreinte indélébile. Parmi les représentants locaux de cette musique, on peut citer Ane Swing (qui a beaucoup fait pour sa diffusion et sa reconnaissance nationale) et Elio Boom.

Samuel Malonga

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