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Publié par Samuel Malonga

Deux poids, deux mesures

Le mois de mars de l’année 2021, est certainement un mois triste dans l’histoire récente du Congo. En effet, notre pays a perdu deux de ses éminents fils.  Il s’agit du pharmacien Étienne-Flaubert Batangu Mpesa dit Manadiar et de l’artiste-musicien Joseph-Augustin Kiambukuta Londa plus connu sous le sobriquet de Josky ou Djo Sex. Chacun d’eux s’est distingué dans son domaine de prédilection. Le hasard a fait que les deux disparus soient  originaires de la même province, du même territoire et qu’ils soient issus de la même tribu.

Le pharmacien Batangu est un chercheur de renommée nationale. Le scientifique a inventé des produits pharmaceutiques qui ont sauvé des vies congolaises. A son actif, des remèdes comme Manadiar, Manalaria. Niagas, Zengaver et Vobilar. Pour la pandémie qui confine le monde, il met sur le marché son dernier produit appelé Manacovid (acronyme de manisa covid).

 

L’artiste Kiambukuta est une célébrité musicale. Ses titres n’ont laissé personne indifférent. Tout le monde est unanime à reconnaître sa capacité à écrire des chansons à la fois romantique et poétique lesquelles ont fait vibrer les cœurs des millions des gens.

Si Batangu s’en est allé le 5 mars, Kiambukuta a tiré sa révérence deux jours plus tard. Pour les deux disparitions, une grande discrimination éclate au grand jour. La participation financière du gouvernement au profit du musicien et au détriment du scientifique frappe les consciences. Pourtant le chercheur a enrichi la pharmacopée congolaise de plusieurs médicaments. Le pharmacien Batangu a été enterré par les siens. Ses obsèques n’ont connu la présence d’aucun membre du gouvernement. Le ministre de la santé a brillé par son absence injustifiée et le Congo n’a pas rendu un vibrant hommage à celui qui a fait l’honneur du pays par ses recherches, ses découvertes et ses inventions. Dans le chef de l’exécutif congolais, la discrimination corporative ne date pas d’aujourd’hui.

 

La vision des tenants du pouvoir pour honorer les différentes corporations nationales prend forme immédiatement après l’indépendance. Dans un pays privé de cadres, avec peu d‘universitaires, avec l’enseignement assuré par des étrangers (Belges, Français, Haïtiens et autres), le président encourage les jeunes. A la fin de chaque année scolaire, Kasa-Vubu reçoit au palais présidentiel du mont Stanley, tous les premiers des classes de toutes les écoles primaires de Léopoldville. Ces écoliers aux côtés du chef de l’Etat se voient encourager.

A son arrivée au pouvoir, Mobutu change la donne. Il s’appuie d’abord sur le football. puis sur la musique qu’il va utiliser à des fins de propagande politique. L’artiste-musicien bombardé héraut du mobutisme reçoit les faveurs du pouvoir. Le général qui n’aime pas la contestation et qui veut imposer la pensée unique n’hésite pas à fermer les universités ou d’envoyer les hommes en uniforme tirer sur les étudiants désarmés. Ils sont même incorporés de force dans l’armée pour les discipliner . D’autres sont arrêtés, humiliés, jugés, condamnés à de lourdes peines puis jetés en prison. 

Mobutu fait de la chanson congolaise le vecteur de son idéologie. En retour, il entoure certains musiciens de sa protection et les couvre de ses largesses. L’État prend souvent en charge leurs frais d’hospitalisation et déploie des moyens conséquents pour rapatrier les dépouilles de ceux qui meurent à l’étranger. Les artistes-musiciens voient certains grands artères kinois porter leurs noms, pourtant aucun scientifique, aucun professeur émérite, aucun chercheur, aucun écrivain n’a reçu de l’’Etat pareille reconnaissance ou un tel honneur. Une autre corporation qui semble profiter des largesses du pouvoir est celle des artistes-comédiens.

 

Le manque d’attention sur le sort de l’enseignement supérieur et universitaire dont le  devoir est de préparer l’élite du pays s’est concrétisé par la disparition dans l’anonymat de près de 40 professeurs de l’Université de Kinshasa pour la seule année 2020. L’État ne s’en est même pas ému. Mal payés et quasiment déconsidérés, ils n’arrivent pas à  nouer les deux bouts du mois avec leur salaire de misère après avoir fait d’énormes sacrifices pour devenir titulaires de chaire. Les professeurs ont du mal à vivre décemment et à payer le crédit-auto reçu de l’Etat alors que le même gouvernement a donné des voitures en prime aux Léopards locaux pour avoir remporté le CHAN en 2017.

Le cas du pharmacien Batangu rappelle l’ingratitude de l’État congolais envers les grands noms de la science congolaise que sont les profs Félix Malu wa Kalenga, Marcel Lihau et André Lurhuma Zirimwabagabo, le pharmacien Basile Ntondele, le chercheur Kabasele Mwamba et tant d’autres. Leur péché est d’avoir fait de grandes études et de n’avoir tout simplement pas été musiciens. L’art d’orphée a dévalorisé les études et discrédité l’élite. Entre l’artiste-musicien qui agrémente la vie et le scientifique qui forme l’esprit ou qui fait des recherches, entre le divertissement et le progrès à venir, entre la musique et l’enseignement, l’État congolais a choisi son camp.  

Samuel Malonga

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