Vie et œuvre de Georges Verckys Kiamuangana
Georges Kiamuangana Mateta est décédé à Kinshasa des suites d’une longue maladie. Artiste-musicien, auteur-compositeur, instrumentiste, arrangeur, preneur de son, mécène, éditeur, manager, producteur, chef d’entreprise, meneur d’hommes et industriel de la musique, l’homme a beaucoup de casquettes comme Il a aussi beaucoup de surnoms : Verckys, Vévé, L’homme aux poumons d’acier, Wazola Nzimbu. De James Brown, il reçoit le pseudonyme Mister Dynamite.
Kiamuangana est né à Kisantu le 19 mai 1944. Son père commerçant amène toute la famille à Aketi dans la province Orientale. Dans leur parcelle, il y a un bar. Le jeune Georges voit les fanfaristes qui y jouent. De tous les instruments qui sont utilisés par les artistes-musiciens, le jeune Georges est attiré par le saxophone. A son retour dans la capitale, il s’évertue à jouer son instrument de prédilection chez les kimbanguistes. Cet instrument ne le quittera plus. Il va même lui permettre de s’effrayer un passage dans la musique congolaise moderne et de se faire un nom.
Kiamuangana met un terme à ses études contre l’avis de son géniteur qui veut l’envoyer aux études en Europe. En 1961 alors qu’il n’a que 17 ans, il débute sa carrière professionnelle dans l’orchestre Los Cantina. Il va ensuite faire un passage éclair dans Jazz Africain de Clari Lutula. En 1962, il fait le tour de plusieurs groupes notamment Jamel National de Fauvette Kabangu, Congo Jazz de Dewayon Ebengo, Oui Fifi de Gérard Kazembe et Conga Succès de Johnny Bokelo. En 1964, il intègre enfin l’Ok Jazz. Il y évolue à côté de Isaac Musekiwa et de Dele Pedro deux saxophones anglophones qui ont joué un rôle non moins important dans la section cuivre du groupe. En décembre de la même année, Franco qui apprécie le talentueux saxophoniste l’emmène en Belgique ensemble avec Vicky Longomba et Edo Nganga. A Bruxelles, l’OK Jazz restreint enregistre plusieurs chansons dont Mino ya Luambo diamant et Lisaso ya kronenbourg.
Parvenu à tirer son épingle de jeu dès ses débuts dans le groupe de Franco, Verckys commence d’abord à faire des duos (Bolingo ya Bougie de Kwamy ; Polo et Mokoloya mitano na monaki yo de Luambo) avec Musekiwa et Dele Pedro. Plus tard, il fait des solos comme dans Samba tokosamba de Boyibanda, Tété ngelele eleki ngai de Vicky Longomba et Tuna Mageda de Mujos Mulamba. Verckys explose dans Course au pouvoir de Franco. Dans ce titre, son saxo engage un dialogue instrumental avec la guitare de Luambo.
Kiamuangana commence à écrire ses propres chansons (Oh madame de la maison, Annie ngai nalinga) et se fait aussi remarquer par son style dansant. Il se taille une place au soleil et devient à la fois l’éminence grise et le secrétaire particulier de Franco. Cette proximité lui permet de se familiariser avec le management et la production des disques. Tout en étant sociétaire de l’OK Jazz, Verckys crée son propre label. Pour sa dénomination, il dédouble la première syllabe de son pseudonyme. Cette redondance donne le nom Vévé. Le logo n’est autre que le saxo. C’est un clin d’œil qu’il fait à cet instrument qui l’a rendu célèbre. Il enregistre les compositions de Lutumba Simaro (Okokoma mokristo) et Bitshou (Sasa) et les met sur le marché du disque. Ce sont les premiers nzonzing de l’histoire de la musique congolaise contemporaine. Ces enregistrements clandestins en marge de l’OK Jazz mais avec certains de ses membres provoquent la colère de Luambo. La sentence ne se fait pas attendre. La patron frappe très fort. Verckys est révoqué.
Viré de l’OK Jazz, Kiamuangana qui a déjà son propre label veut voler de ses propres ailes. Il crée un groupe qui porte le nom de sa maison d’édition des disques. Plus tard, sur chaque disque produit est imprimée sa photo. Marketing oblige.
Kiamuangana a 25 ans lorsqu’il devient son propre patron. La sortie officielle de l’orchestre Vévé a lieu au bar Vis-à-vis en juin 1969. On y trouve des artistes de talent comme Max Sinatra devenu plus tard Saak Saakoul, Matadidi Mario et Loko Djeskain qui formeront le redoutable trio Madjesi de l’orchestre Sosoliso.
En pleine période de la politique de recours à l’authenticité, Verckys compose Nakomitunaka. Cette œuvre soulève une vive polémique avec l’Eglise catholique en particulier et avec la chrétienté congolaise en général. Ce titre lui vaut l’excommunication. Pour monter les enchères parce qu’étant en désaccord parfait avec le cardinal Malula, la chanson passe en boucle dans les ondes de La Voix du Zaïre sur instruction du régime Mobutu. Kiamuangana enrichit la discographie congolaise par d’autres titre de haute facture comme Mfumbwa, Fifi Solange, Béa, Bankoko baboyi, Sakumuna, Ah ngai Matinda etc.
En 1971, une petite révolution s’effectue dans la production du disque. Depuis toujours, le support vinyle 45 T porte deux chansons différentes. Mais avec le titre Mfumbwa 1ère et Mfumbwa 2e , Verckys modifie cette donne. Alors commence une nouvelle ère. Il initie et introduit le système d’un disque une chanson. Celle-ci est divisée en deux composantes comprenant la partie mélodie en face A et la partie dansante en face B. Attirés par le bénéfice que cela représente en terme de dividendes, tous les groupes musicaux mordent à l’appât. La musique congolaise connaît à partir de ce moment un véritable bouleversement phonographique qui fait d’elle la seule au monde qui ne produit qu’un titre unique sur disque en lieu et place de deux.
Sur le plan du business, Verckys se révèle un entrepreneur efficace. A côté de l’orchestre, il diversifie et multiplie ses activités commerciales. En homme d’affaires avisé, il réussit à bâtir un véritable empire commercial comprenant le magasin Zadis pour la vente des disques, le studio mobile Vévé, une usine de duplication des cassettes audio, une manufacture de disque appelée Mazadis, l’écurie et le label du même nom qui édite bien des orchestres des jeunes (Zaïko, Empire Bakuba, Grands Maquisards, Victoria Eleison). Il crée et produit plusieurs groupes ou les aide à démarrer leurs activités musicales (Kiam, Lipua-Lipua, Les Kamales, Isifi Lokole, Langa-Langa Stars, Afro International, Anti Choc, Koffi Olomide, Wenge Musica) et tant d’autres. De ce fait, il n’hésite pas à déstabiliser certains groupes musicaux. Des jeunes qui veulent démarrer font souvent appel à lui pour une aide matérielle. Verckys se taille alors la part du lion dans le microcosme musical congolais surtout dans le domaine de l’édition et de la production. En 1978, il fait construire l’immeuble Vévé Center au rez-de-chaussée duquel se donnent des concerts. Le business finit par l’emporter sur sa carrière musicale. Absorbé par les affaires, Kiamuangana n’a plus le temps de s’occuper de son orchestre qui se désintègre aussitôt. Des années plus tard il tente de recoller les morceaux éparpillés de son groupe et parvient à reconstituer son orchestre. Mais la mayonnaise ne prend pas. L’aventure est de courte durée et l’immortel Vévé disparaît pour toujours.
Du milieu des années 70 jusque dans la décennie 80, un groupe informel appelé "Trois Mousquetaires", fait et défait les orchestres à Kinshasa. Trois artistes-musiciens de renom à savoir Franco, Rochereau et Verckys le compose. En coulisse, ils usent de leur influence, de leur notoriété et de leur rang pour décider de la vie des jeunes orchestres qui sont leurs victimes. Ils supportent difficilement la concurrence et encore moins leur succès. Volant rester les seuls maîtres à bord, leurs mains, dit-on, est derrière la disparition de Sosoliso du trio Madjesi et la scission de Zaïko Langa-Langa. Quitte à créer la méfiance et la discorde dans la corporation.
Devenues EVVI (Editions Vévé International) en 1980, les éditions Vévé ont produit la quasi-totalité des orchestres des jeunes à Kinshasa, de Bella-Bella à Zaïko en passant par Viva la Musica, Empire Bakuba, Grands Maquisards et tant d’autres. Par contre, certaines chansons de ses orchestres satellites comme Lipua-Lipua et Kiam (raccourci de Kiamuangana) sont sorties sous le label Sakumuna (du nom d’un titre de l’artiste) qu’il a spécialement créé pour les groupes musicaux de son écurie. Verckys a aussi produit les chansons Maze, Sima na ngai et Mpeve a nlongo de l’Afrisa. L’homme aux poumons d’aciers a marqué la musique de son empreint dans la composition des chansons et s’est distingué dans l’édition, le management, la production et la distribution des œuvres phonographiques. Il se targue même de dire qu’il a porté assistance à au moins 90 % des groupes musicaux kinois.
Outre la musique, Verckys s’est également investi dans le sport, plus particulièrement dans le football. Dans les années 70, il est président du Racing Club Matete, l’ancienne équipe de Kakoko. Il montre ensuite son attrait pour le sport-roi dans Pronostic, titre dans lequel il rend hommage aux grandes vedettes du foot kinois. Personnage controversé, l’ancien président de l’Umuza (devenue Umuco) puis de Socoda a aussi nourri la rumeur publique et la polémique autour de ses avoirs, de ses entreprises et de sa cupidité. Le chanteur Kester Emeneya ne lui a-t-il pas donné le surnom de Wazola Nzimbu ?
Samuel Malonga