Kwedi Mayimputu s’en est allé
La nouvelle est tombée comme un couperet. Celui que le public a surnommé Caméléon de la scène a tiré sa révérence après une courte maladie. Mais qui est-il ?
Né à Kinshasa en 1946, Daniel-Claude Mayimputu, Mayin pour les intimes, est le sixième d’une famille de 13 enfants. Après ses études primaires, il commence les humanités à Ste Anne (aujourd’hui St Joseph). Il passe ensuite par l’athénée de Saint-Jean avant d’obtenir son diplôme de fin d’études à l’école normale de Ngiri-Ngiri. Destiné à l'enseignemennt, il évite d’être chevalier de la craie et touche un peu à tout après ses humanités pédagogiques. Il étudie tour à tour le droit des sociétés commerciales, le journalisme puis les relations publiques sans oublier les langues étrangères en particulier l’anglais et l’allemand. Il finit par atterrir sur les planches non sans avoir enseigné pendant un laps de temps.
Kwedi s’intéresse au théâtre dès son jeune âge. Dans le mouvement Xavéri, il joue déjà des saynètes. Au cinéma, il a un faible pour les films western. A l’époque il s’identifie aux cow-boys et jure de devenir un jour acteur à Hollywood. Il donne même à sa bicyclette les noms de Joli Cœur et Galambert qui sont ceux de deux chevaux qu’il a vus dans un film. A l’image des cow-boys, le jeune homme porte des jeans, des chemises à carreaux voire un foulard autour du cou.
Passionné de théâtre, il a ses habitudes au Centre culturel de Matonge (à côté du marché Djakarta) où tous les dimanches il va voir des représentations afin qu’un jour il puisse se mettre lui-même sur scène. Pendant ses études de langue allemande au Goethe Institut, il fait la connaissance d’un ami qui l’introduit au groupe théâtral Iteco. Il n’y reste que peu de temps. Il va par la suite voir Albert Mongita, un parent du quartier qui est directeur au ministère de la Culture et Arts. Ce dernier lui conseille d’intégrer le Théâtre du Zaïre (pendant que le pays s’appelle encore Congo) qui se produit au Carrefour des jeunes. Après y avoir joué quelque trois pièces, il claque la porte et s’en va créer sa propre troupe qu’il nomme Théâtre Mongita, pour honorer et immortaliser ce grand monsieur de la culture congolaise. Le groupe joue des pièces classiques en français dans différentes salles de la place. Comme par prémonition, cette compagnie théâtrale interprète Antigone de Jean Anouilh la veille du 4 juin 1969, jour du massacre des étudiants de l’université Lovanium. Kwedi est sur la scène dans le rôle de chef de garde. D’autres futures célébrités kinoises sont avec lui sur les planches notamment l’actuel professeur André Yoka, Siula ma Siula et Tambwe Mushapata. Antigone est une petite fille courageuse qui défie son oncle, l’autoritaire monarque Créon qui refuse d’offrir un sépulcre à son frère Polynice dont le cadavre est abandonné au soleil et aux charognards et dont quiconque osera enterrer le corps serait puni de mort.
En 1972, la vie de Kwedi bascule lorsqu’il joue à Cultrana la tragédie Ngombe qu’Albert Mongita a écrit en 1964. Présent dans la salle, Tshitenge N’Sana, producteur à Télé-Zaïre et fraîchement rentré d’Ecosse au terme de sa formation de réalisateur, l’approche à la fin du spectacle et lui propose d’enregistrer ladite pièce pour le compte de la télévision nationale. Ce producteur qui va mettre l’art théâtral au cœur de sa politique culturelle va ensuite filmer et passer à la télé les représentations théâtrales de Mobyem Mikanza (Procès à Makala) et Marcel Kalend Yahw (Mundele Ndombe). En 1975, Tshitenge N'Sana qui vient de créer le groupe Salongo pour le compte de l’émission Théâtre de Chez Nous, revient à la charge. Il fait à Kwedi la proposition d’y faire partie tout en continuant à se produire avec la troupe Mongita. L’intéressé accepte d’emblée.
En 1983, Tshitenge N’Sana écrit le scénario et met en scène le célèbre feuilleton Muana Nsusu. Il donne à Kwedi le rôle du Peul Diallo, un personnage ouest-africain. Pour la première fois dans l’histoire du groupe Salongo, le tournage se fait hors des studios de la Renapec dans les rues de la Kinshasa. Drapé dans son boubou et le bonnet bien vissé sur sa tête, Kwedi emballe tout le monde avec cet accent si particulier qu’il a su maîtriser. Émerveillée, la communauté ouest-africaine de Kinshasa l’approche, le gave des présents tout en lui expliquant les différences qui existent entre les Maliens, les Sénégalais et les Guinéens. Muana Nsusu qui se déroule en plusieurs épisodes obtient un franc succès auprès des téléspectateurs, tout comme le télé film Diallo contre Sans Souci. C’est à cette époque que Kwedi obtient le sobriquet de Monsieur Diallo.
Acteur polyvalent car jouant différents rôles, il est surnommé Caméléon de la scène. On le voit tour à tour dans le personnage de Kwedi (homme calme, papa éducateur, père responsable et strict, cadre sérieux), du Peul Diallo, du Malinké Aboubacar, du domestique Tumba Zazu, de l’Antillais Toumbaze ou de tatu Kanuayi wa Mulembelela (un Luba diamantifère également accro à la boisson traditionnelle tshitshampa). Ayant l’art dans le sang, Kwedi est maître dans l’improvisation et dans l’imitation. il ne reproduit pas seulement à la perfection les accents ouest-africain et créole mais imite aussi à merveille les patois congolais (kikongo, tshiluba, kimongo, kiyaka etc.). Il les croque selon le personnage qu’il joue. Artiste né, même s’il n’a pas fait des études de théâtre, Il tire son épingle de jeu dans tous les genre de spectacle. Dans le comique, le tragique ou le dramatique, il est toujours au-dessus du lot et marque les esprits par son charisme et son aisance. Son ami, le professeur Yoka, a toujours été émerveillé par son rôle de composition, c’est-à-dire par la particularité de Kwedi à toujours créer du surplus sur le rôle qu’il joue. Dans le personnage inimitable de Diallo par exemple, il en a acquis le statut, le sobriquet et la nature. Dans ce rôle précis, il a mis et du sien et de l’autre. L’émission Théâtre de Chez Nous lui a permis de s’épanouir et de s’ouvrir au monde. D’après le professeur Yoka, la force et le succès du groupe Salongo résident dans la conception des idées, la rigueur dans les répétitions et la distribution des rôles selon les personnages en lice dans la pièce en question.
Après la disparition de Tshitenge N’Sana en mars 2000, Kwedi étant son second prend la direction de la structure, tout en continuant de jouer comme acteur malgré ses nouvelles responsabilités. Il s’est également donné à la formation des jeunes dans le groupe Salongo. Dans le cadre de son travail, Kwedi Mayimputu a voyagé dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Pays-Bas) et africains (Congo-Brazzaville, Sénégal, Burkina Faso). Membre de l’Ataz (Association des théâtres amateurs du Zaïre) devenue Fenat (Fédération nationale de théâtre amateur), conseiller à l’Association congolaise de critique cinématographique, présentateur des Agendas culturels à la RTNC, ce passionné de l’art a plusieurs facettes. Il est tour à tour artiste-comédien, metteur en scène, scénariste, producteur. Lui qui n’a jamais voulu être enseignant, journaliste, diplomate ou juriste s’est entièrement donné à sa passion. Il a séduit par son talent et a poussé à l’admiration par son savoir-faire. Cet infatigable meneur d’homme est détenteur de la médaille d’or du mérite artistique. Il a donné tout son dévolu au théâtre populaire qui à son tour lui a rendu la monnaie de la pièce en 50 ans de carrière. Bravo Caméléon de la scène et baobab du théâtre populaire congolais ! Salut l’artiste !
Samuel Malonga