Un Congolais qui dérange, un film qui dérangera
Nous vous présentons un article tiré de la rubrique du quotidien belge « Le Soir » intitulée : « Le carnet de Colette Brackman » sur le premier universitaire congolais, Paul Panda Farnana dont nous avons déjà fait écho dans nos articles antérieurs.
Un Congolais qui dérange, un film qui dérangera
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A elles seules, les dates créent la stupéfaction : c’est en 1909, alors que le Congo était encore l’Etat indépendant, propriété
privée de Léopold II, que Paul Panda Farnana, originaire du Bas Congo, obtint son diplôme d’enseignement supérieur et sortit de l’école d’agriculture de Vilvorde !
Envoyé en Belgique pour veiller sur un petit Blanc qui mourut durant la traversée, il avait été adopté par une pianiste belge, Lise Derscheid, fervente admiratrice de Tolstoï, et surtout,
persuadée, comme son maître à penser, de l’égalité entre les hommes. « Tante Lise » comme l’appellera jusqu’au bout le jeune Paul adoptera le petit garçon venu du Congo, lui fera suivre des
études et lui conseillera de mettre ses compétences au service de son pays d’origine, croyant ainsi, de bonne foi, œuvrer au développement de la colonie.
Méticuleusement consignées par la documentation de l’époque, les mésaventures du premier intellectuel congolais seront multiples et prévisibles : engagé par l’administration coloniale comme
commis de troisième classe, il tente de former des Congolais, essaie de les alphabétiser, de leur ouvrir l’esprit. Mais sans cesse, -nous sommes dans les années 20- il se trouve confronté à
l’étroitesse d’esprit, et surtout au racisme d’une administration, d’une société belge qui ne peut même pas concevoir qu’un « indigène » ait mené à bien des études scientifiques et qu’il
veuille, de bonne foi, transmettre ses connaissances à ses compatriotes. La vie, trop courte, -il mourra dans la trentaine-, de Paul Panda Farnana est un roman : souhaitant défendre la
Belgique, il s’engage volontairement dans la guerre de 14-18 et se retrouve prisonnier en Allemagne. Au retour, il entend promouvoir l’éducation de ses compatriotes et multiplie les lettres aux
journaux ; il se lie avec le mouvements pour l’avancement des gens de couleur aux Etats Unis, dont W.E.B. Dubois et participe à un congrès africaniste en Belgique. Pour la Sûreté belge de
l’époque, c’en est trop : un Congolais qui réfléchit, qui écrit, qui manifeste, c’est hautement suspect et le jeune agronome est poussé à retourner dans son village d’origine où il trouvera la
mort, empoisonné. Après sa mort, le pouvoir colonial, instruit par cette expérience, interdira aux coloniaux d’envoyer de jeunes Congolais étudier en métropole et il faudra attendre la fin des
années 50 pour voir apparaître Thomas Kanza, le premier universitaire congolais.
Mêlant les photos d’archives, le reportage de terrain, la reconstitution historique, la cinéaste Françoise Levie a réalisé un travail saisissant. Malgré quelques tautologies, ce film sensible
et rigoureux permet de saisir la densité du racisme de l’époque, de mesurer à quel point Paul Panda Farnana fut un précurseur incompris, par les Belges et aussi par les Congolais. Mais ce film
fait aussi froid dans le dos, car, illustrant les aptitudes du jeune homme, son dévouement à la Belgique, ses qualités intellectuelles, il permet de mesurer l’immensité du gâchis qui a consisté
à priver d’éducation supérieure des générations entières de Congolais, à mutiler l’esprit d’un peuple. Par quel terme faut il désigner le génocide de l’intelligence ? Cette question court tout
au long du film de Françoise Levie et, même si le temps a passé, elle devrait hanter les consciences. Car aujourd’hui encore au Congo, l’éducation demeure le plus précieux, le plus hasardeux
des biens. Combien de millions de Panda Farnana n’ont-ils pas été sacrifiés ?
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Mon Cher Tshikodele Mangombe,
Dans le livre CONGO-ZAIRE, LE DESTIN TRAGIQUE D’UNE NATION que j’ai publié aux éditions l’Harmattan de Paris en 2009, j’ai consacré de nombreuses pages à l’histoire de ceux qui ont combattu avec courage et tout simplement par souci de justice le système cruel d’exploitation des richesses du Congo instauré par Léopold II, dont Henry William Sheppard, Georges Washington Williams, l’Anglais Edmund Morel et l’Irlandais Roger Casement. C’est grâce à leur action persévérante et leur détermination à défendre les Congolais que Léopold II avait été ébranlé pour finir par céder le Congo à la Belgique. Saisissant l’occasion de la célébration du Cinquantenaire de l’Indépendance, j’avais écrit au Comité d’organisation créé pour la circonstance pour proposer qu’une proclamation solennelle de leurs mérites exceptionnels soit faite en reconnaissance de leur engagement désintéressé à défendre et protéger les populations congolaises menacées d’extermination. Mais hélas….
J’écris en ce moment un ouvrage sur les personnages marquants de l’histoire du Congo depuis Diego Cao. Le lecteur apprendra par exemple que l’histoire de la prophétesse Kimpa Vita avait eu des prolongements jusqu’en Amérique. Les esclaves venus de Kongo au 18e siècle parmi lesquels se trouvaient de nombreux adeptes de sa religion avaient été à la base de grands événements historiques aux Etats-Unis, dans les Caraïbes et au Brésil, où ils ont en plus laissé des traces dans la culture et les pratiques religieuses. C’est un esclave Ne-Kongo appelé Jemy par exemple qui avait conduit la plus grande révolte des esclaves aux Etats-Unis connue sous le nom de STONO REBELLION. C’est encore un esclave Ne-Kongo du nom de Makandal (a) transformé en Mac Dal qui avait été à la tète du soulevement des esclaves en Haïti, précurseur de la lute de libération qui avait conduit à la création du premier pays noir indépendant. Il existe aujourd’hui à New-Orléans dans l’état de Louisiana, une place publique au nom de CONGO SQUARE, lieu de naissance de la musique de Jazz. C’est le lieu où les esclaves Ne-Kongo étaient autorisés à se réunir le dimanche, jour de repos, pour faire leur marché, jouer leur musique et danser. Des exemples sont nombreux qui méritent des études approfondies. Où sont nos historiens ?
Ngimbi Kalumvueziko, Auteur de CONGO-ZAIRE, LE DESTIN TRAGIQUE D’UNE NATION, et LE PYGMÉE CONGOLAIS EXPOSÉ DANS UN ZOO AMERICAIN. SUR LES TRACES D’OTA BENGA, publiés chez l’Harmattan, Paris.
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