Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par Robert Kongo

Cinq questions à Debora Kayembe (*)

1. La Cour suprême britannique a jugé que le projet du gouvernement d’expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile arrivés irrégulièrement au Royaume-Uni est illégal. Qu’est-ce qui a motivé la décision des juges ?

Cette initiative est l’œuvre des activistes des droits de l’homme. C’est nous qui avons introduit le dossier auprès du tribunal de première instance pour bloquer ce projet, c’est-à-dire empêcher la montée dans l’avion des personnes sélectionnées pour ce voyage funeste. D’ailleurs, la plupart des compagnies aériennes sollicitées ont refusé de signer un contrat avec le gouvernement à ce sujet. Nous avons saisi le tribunal pour expliquer aux juges l’inutilité de mener  une entreprise comme celle-là dans la région des Grands Lacs africains où l’environnement politique est instable, et le Rwanda, dont le quart de la population est en prison, n’offre pas des conditions de vie dignes et saines aux migrants. Non content de notre victoire, et pour casser la décision du tribunal de première instance, le gouvernement a brûlé  les étapes intermédiaires et a porté l’affaire devant la Cour suprême. La décision rendue à l’unanimité des juges est en notre faveur. Il a été conclu que cet accord est illégal, conformément à la convention de Genève et à la convention européenne des droits de l’homme. De plus, au vu des témoignages recueillis par le tribunal, il a été établi que le Rwanda n’est pas un pays d’accueil des migrants. Je considère que cette affaire est close. Mais si le gouvernement britannique refuse d’abandonner son projet, jugé illégal par la Cour suprême, que le Premier ministre, Rishi Sunak, sache une chose : les élections générales se dérouleront dans trois mois et nous l’attendons au tournant. Le populisme ne passera pas.             

2. Le Rwanda a contesté le jugement, affirmant être un pays sûr d’accueil des migrants. Comment réagissez-vous ?

Le Rwanda est un pays où la population vit dans des conditions inhumaines, cela se sait. Le président rwandais, Paul Kagame, s’entête de faire croire à tout le monde que son pays, je le répète, dont le quart de la population est en prison, garantit les meilleures conditions d’accueil des migrants. Or, c’est totalement faux ! Il est question, ici, de la stabilité dans la région des Grands Lacs africains. Qui enverrait-on au Rwanda ? Ce n’est pas toutes les personnes requérantes d’asile au  Royaume-Uni, mais plutôt des individus savamment sélectionnés vivant déjà au Royaume-Uni et qui représentent une menace terroriste sur le territoire britannique. Ils sont Ukrainiens, Afghans… Je signale, en passant, que le Rwanda n’est qu’un pays d’accueil, c’est le Royaume - Uni qui va continuer à instruire leurs dossiers. Et si le Royaume-Uni, après instruction, rejette le dossier d’un demandeur d’asile,  le Rwanda se verrait obligé de le libérer dans la nature. On peut alors imaginer ce que va devenir ce débouté de droit d’asile, un terroriste, une fois à l’intérieur dans l’espace de la région des Grands Lacs africains.

3. Selon vous, pourquoi le Rwanda s’acharne-t-il à faire de la sous-traitance des demandeurs d’asile en Europe ?  

Ce n’est pas le Rwanda, c’est le gouvernement britannique à travers le parti conservateur. Ces idées sont celles des gens de l’extrême droite. Le Rwanda a reçu 140 millions de livres sterling du contribuable britannique pour ce projet, sans qu’un avion y atterrisse. Et le choix du Rwanda s’explique par le fait que ce pays a toujours été au service des grandes puissances occidentales, notamment anglo-saxonnes. Paul Kagame est au service des puissances obscures qui bouleversent des vies et en brisent d’autres sur cette terre des hommes.  

4. Comment l’université d’Édimbourg a-t-elle réagi à cette décision ?

Je crois que l’université d’Édimbourg ne veut plus avoir affaire à cette histoire qui montre finalement que j’ai raison. Ils ont compris l’erreur qu’ils ont faite. Le respect qu’ils témoignent à mon endroit en dit long sur leur état d’esprit. Ils ont été bernés par leur ami, Paul Kagame, à qui ils ont voulu faire plaisir en m’évinçant de mon poste de rectrice de l’université pour une faute que je n’ai pas commise. Sachez que je suis la seule personne élue au sein de l’université et les autres ont été embauchées. Donc, seul mon électorat a le droit de me démettre de mes fonctions, il n’en va pas autrement. Ils l’ont bien compris et c’est tant mieux.

5. En tout cas, vous avez mené ce combat avec panache. Une satisfaction pour l’activiste des droits de l’homme que vous êtes ?

J’ai eu à mener beaucoup de combats au sein de l’université qui ne s’ébruitent pas. Des combats dangereux. Je vous épargne les détails. Certes, celui-ci a fait grand bruit et défrayé la chronique, mais j’ai choisi d’y travailler dans le silence pour montrer la grandeur de mon combat. Tout simplement. Si je me réjouis de cette victoire, je ne vais surtout pas le crier sur tous les toits. Je reste modeste. Le gouvernement britannique vient de subir une véritable défaite. Et s’il campe sur ses positions visant à désigner le Rwanda comme étant un pays d’accueil des migrants, je le mettrai alors à terre. Je l’attends de pied ferme.

Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France (Le Potentiel)

(*) Rectrice de l’université d’Édimbourg   

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article