Psychose et compte à rebours à Goma
Le carnet de Colette Braeckman
Psychose et compte à rebours à Goma
Alors qu’à Kampala, les négociateurs (gouvernement congolais et représentants du M23) ont décidé de prolonger leurs discussions jusqu’au 31 décembre mais qu’en réalité ils n’ont guère avancé, la ville de Goma connaît une véritable psychose. Tous les civils qui le peuvent vont s’installer dans des hôtels ou des appartements de la ville rwandaise jumelle de Gisenyi, ou, en beaucoup plus grand nombre, prennent d’assaut les vedettes se dirigeant vers Bukavu ou même la grande île d’Idjwi qui est réputée plus calme malgré la situation de quasi famine qui y règne à cause de la perturbation des approvisionnements.
Ces départs sont provoqués par des faits objectifs, mais aussi par des rumeurs et des incertitudes. Les faits objectifs ne manquent pas : au lieu de se replier à 20 km de la ville, comme convenu à Kampala, les rebelles du M23 se trouvent dans les faubourgs même de Goma, à Kibati, Murambi, Ruwindi. La société civile du Nord Kivu rapporte que le colonel M23 Baudouin Ngaruye commande des troupes qui se trouvent à Mudja, que les colonels Douglas et Kamanzi se trouveraient sur l’axe Munigi-aéroport tandis que Murambi, Joli Bois et le quartier Bujovu seraient infiltrés également. Ce non respect des accords a suscité la réunion en urgence à Kampala des chefs d’état major de trois pays, Rwanda, Ouganda et Congo.
En outre, l’insécurité règne dans la ville où l’on relate plusieurs braquages, dont des banques, des attaques à main armée ainsi que des assassinats, visant des civils mais aussi des policiers :
le major de police Bertin Chirumana qui avait accompagné le premier déploiement de policiers après le départ des rebelles a été retrouvé criblé de balles, sa jeep calcinée. Selon le gouverneur de
la ville, Julien Paluku, le suspect serait un ex-militaire ayant des liens avec le M23. Plusieurs habitants de Goma nous ont déclaré avoir reçu des appels téléphoniques anonymes leur conseillant
de quitter les lieux avant une nouvelle attaque, et selon eux, le M23 entend ainsi signifier qu’il garde la capacité de reprendre Goma à tout moment. Un véhicule de la banque BIAC a également été
attaqué et les dirigeants de certains établissements bancaires envisagent de quitter provisoirement Goma pour Gisenyi.
Quant aux rumeurs, elles se croisent elles aussi et il est bien difficile de les recouper. Les plus insistantes font état d’unemobilisation de l’armée rwandaise qui aurait concentré d’importants
équipements militaires (artillerie, chars de combat) à Gisenyi et Ruhengeri, le long de la frontière congolaise ainsi qu’en face de Bukavu.
Si les troupes rwandaises se trouvent en état d’alerte, c’est parce qu’elles redouteraient une attaque imminente, qui pourrait être menée en territoire rwandais par les miliciens hutus FDLR. Ces
derniers, profitant des troubles récents, se seraient à nouveau concentrés au Nord Kivu. Kigali assure qu’ils combattent aux côtés des forces gouvernementales, ce que dément l’état major
congolais. Si elle devait se produire, une attaque des miliciens hutus serait évidemment présentée comme une justification du retour des troupes rwandaises en territoire congolais.
Cette exacerbation des tensions militaires et de la guerre psychologique s’explique aussi par une échéance bien réelle : il se confirme que la « force neutre », composée de plusieurs centaines de
militaires tanzaniens disposant d’une logistique fournie par l’Afrique du Sud pourrait se déployer assez rapidement à Goma. Sa mission, qui lui a été fixée par la conférence des chefs d’Etats de
la région lors du sommet de Kampala, serait, au minimum, de surveiller la frontière entre le Rwanda et le Congo afin d’empêcher toute infiltration et elle pourrait aussi tenter de paralyser le
M23 décrit par les Nations unies comme une « force négative » -mais avec lequel des représentants de Kinshasa acceptent cependant de négocier à Kampala.
Lors de leur dernière rencontre en Ouganda, les dirigeants des pays d’Afrique australe, soutenant officiellement le principe de la souveraineté du Congo sur l’ensemble de son territoire et de l’intangibilité de ses frontières, ont réaffirmé leur appui à Kinshasa et accéléré les préparatifs militaires. Des appareils sud africains chargés de matériel logistique ont déjà atterri à Goma. Officiellement, les représentants du Rwanda ont accepté le principe du déploiement d’une force neutre, mais on peut imaginer que la possible neutralisation du M23 ne fasse pas l’unanimité…
La psychose militaire a encore été accentuée par le discours solennel prononcé samedi dernier par le président Kabila devant l’Assemblée nationale et le Sénat dans lequel il a affirmé que «
priorité serait donnée à la défense de la nation » et à la création « d’une armée dissuasive, nationale, apolitique et professionnelle » Pour la première fois, sortant d’une réserve qui lui a
souvent été reprochée dans le passé, le chef de l’Etat a clairement dénoncé la « guerre d’agression » menée par le Rwanda allié aux insurgés du M23.
A Goma, le compte à rebours a désormais commencé…
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