Texte sur l'Accord-cadre Addis-Abeba : Cinq questions à Ferdinand Lufete (*)
1. Malgré l’espoir suscité par la signature, le 23 février 2013, de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba sur la paix, la sécurité et la coopération en RDC et dans la région par onze États et quatre institutions internationales et régionales, à savoir l’ ONU, UA, CIRGL et la SADC, force est de constater que 10 ans et demi après les promesses sont loin d’être tenues. Comment expliquez-vous cette situation ?
Cet accord est la première initiative de paix visant à mettre fin au conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale et s’attaquer aux causes profondes de la violence et des guerres récurrentes dans l’Est de la RDC. En effet, l’État congolais, les pays de la région, soit l’Afrique du Sud, l’Angola, le Burundi, la RCA, le Congo, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan du Sud, la Tanzanie et la Zambie et les institutions internationales et régionales, que vous avez justement rappelé, semblaient déterminés à instaurer une paix durable en RDC et dans la région des Grands Lacs par le biais d’une approche globale. À l’époque, le gouvernement congolais s’est engagé à réformer en profondeur le secteur de la sécurité, à consolider l’autorité de l’État dans les provinces orientales du pays et à promouvoir des institutions du pays. Et nul n’ignore les efforts fournis par l’ancien Coordonnateur du Mécanisme National de Suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba (MNS), fondateur de l’Alliance pour le Développement et la République (ADR), François Muamba, chargé de superviser la mise en œuvre des engagements pris au niveau national. Voilà ce qui s’est passé, les pays de la région, qui avaient accepté de respecter la souveraineté et l’intégrité de la RDC et de ne pas s’ingérer dans ses affaires intérieures, de ne pas tolérer ou fournir d’assistance aux groupes armés, de renforcer la coopération régionale, de ne pas héberger ou fournir de protection aux personnes impliquées dans des crises de guerre, des crimes contre l’humanité, des génocides ou des crimes d’agression, et de faciliter l’administration de la justice par le biais de la coopération judiciaire dans la région, n’ont pas tenu à leurs engagements. En fait, c’est la terre riche de la partie Est de la RDC en or, coltan, cassitérite, cobalt… qui intéresse les « co-garants » de l’accord, et ce, pour l’exploiter à leur propre profit et rien d’autre. Les Congolais ne sont pas dupes.
2. Le Conseil sécurité des Nations unies, qui s’est engagé à soutenir cet accord pour la stabilité à long terme de la RDC et de la région des Grands Lacs, brille par son inaction. Quel est votre commentaire ?
Evidemment, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est engagé à soutenir cet accord. Cet engagement a été soutenu par un mandat renforcé pour la Monusco, avec une brigade d’intervention autorisée à mettre fin à la violence armée par tous les moyens nécessaires et la nomination d’un envoyé spécial chargé d’encourager les signataires à remplir leurs obligations en vertu de l’Accord-cadre et de coordonner un processus politique global pour trouver des solutions durables aux causes profondes du conflit. Ces promesses sont restées lettres mortes. À ce jour, le pays est menacé par des tentatives de morcellement et fait face à une résurgence de l’activisme des groupes armés et à une énième guerre d’agression et d’occupation dont l’impact sur la situation humanitaire et des droits de l’homme est dramatique. La tragédie congolaise, où les morts, les femmes violées et les personnes déplacées se comptent par millions, ne semble plus être au premier rang des préoccupations de la communauté des États
3. Peut-on revitaliser l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ?
Je reste sceptique quant à la volonté de ce beau monde réuni à Addis-Abeba, le 29 mars 2023, pour réfléchir sur la revitalisation de cet accord. C’est une stratégie de la distraction qui consiste à détourner l’attention des Congolais censés affronter et gérer les menaces et les défis qui se posent au pays. Il n’est un secret pour personne que la RDC est l’objet d’un complot international. Les grandes puissances, les multinationales et les plus puissants financiers de la planète sont à la manœuvre dans cette opération de diversion. Cela doit interpeller les Congolais pour qu’ils puissent se prendre en charge.
4. La Monusco doit-elle partir ?
La Monusco est sur le territoire congolais depuis vingt-quatre ans. Pour quel résultat ? Cette mission onusienne a été longtemps chahutée sous Joseph Kabila, elle est désormais poussée vers la sortie par l’administration Tshisekedi. À juste titre d’ailleurs. Car, les conséquences à tirer de sa présence en RDC vont de pair avec l’inefficacité des organisations régionales à créer les conditions pour un retour à la paix et à la stabilité dans l’Est. Il est temps que les autorités congolaises arrêtent de tergiverser sur cette question qui suscite une grande frustration au sein de la population congolaise.
5. Selon vous, y’a-t-il encore un espoir pour sortir de cette situation dans l’Est de la RDC ?
L’espoir, c’est la volonté des Congolais de s’opposer efficacement à cette cabale contre la RDC. La stabilité du pays est menacée et le mot balkanisation est déjà lâché dans les grandes capitales du monde. Aux Congolais d’assumer leurs responsabilités en mettant un terme à cet état de fait et préserver l’indépendance du pays chèrement acquise, le 30 juin 1960.
Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France
(*) Président de l’ADR/France
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