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Publié par Samuel Malonga

Partis politiques ou rassemblements ethniques ?

 

Depuis un certain temps, la RDC est à la croisée des chemins. Confronté à une crise profonde sur l’identité même de l’homme congolais, se dessine dans le pays la résurgence du tribalisme sous le couvert des plateformes politiques. D’emblée se pose la question cruciale de savoir si les partis politiques congolais ne flouent-ils pas  le peuple en l’embrigadant dans des rassemblements au parfum régionaliste. Retranché dans le vase clos du fanatisme tribal, le Congolais peut-il sortir de ce mal qui le ronge et qui peut conduire le Congo à sa perte ?

 

En remontant dans l’histoire des rassemblements politiques congolais, apparaît l’Union congolaise en 1919. Fondée par Paul Panda Farnana, elle a regroupé en son temps les Congolais de tout bord résidant en Belgique, son but étant d’assurer la promotion la ″race congolaise″. Près de quarante ans plus, l’association culturelle ABAKO devient en 1956 le premier parti politique congolais avec toute sa parure ethnique.

Le tribalisme politique commence réellement en 1957 lors des élections communales organisées à Léopoldville, Élisabethville et Jadotville. Elles ont fait prévaloir les sentiments tribaux au détriment des capacités des élus. Ces échéances électorales se sont muées en affrontements politico-ethniques entre les ressortissants des différentes provinces en se dressant les uns contre les autres, surtout entre les Bangala et les Bakongo. Alors qu’ils ont toujours vécu en bonne intelligence, les raisons politiques ont eu raison de leur entente. A Léopoldville, les Bangala et les Bakongo découvrent brusquement qu’ils ne sont pas de la même tribu, ne défendent pas les mêmes intérêts, ne parlent pas le même langage. Pour galvaniser les siens, Bolikango a un slogan particulier. Pendant ses meetings, il demande à l’assistance : "Lipanda eza na libenga na ngai, nabimisa?" (L’indépendance se trouve dans ma poche. Dois-je la montrer ?). Et la foule de répondre : "Kobimisa te kasa-Vubu akoyiba" (Ne la sors pas sinon Kasa-Vubu va la  dérober). Alors que les Bakongo sont qualifiés de régionalistes dangereux″ par les Bangala, ces derniers sont à leur tour traités par les Bakongo de ″Nègres payés  ou corrompus par l’administration coloniale et par les missionnaires″. La victoire de l’ABAKO est rendue possible grâce à une forte mobilisation des Bakongo majoritaires dans la capitale soit 46,5 % des électeurs. En jouant la carte tribale, le parti de Kasa-Vubu parvient à rafler pas moins de dix communes (Bandalungwa, Barumbu, Dendale, Kalamu,  Kintambo, Kinshasa, Matete, Ndjili, Ngiri-Ngiri, Saint-Jean).

A Élisabethville, la pilule est amère et difficile à avaler pour les faucons katangais. Trois des quatre communes que compte la ville sont revenues à des ressortissants du Kasaï. Thadée Mukendi à la commune de Katuba est un Lubilandji du Kasaï Oriental, Armand Tshinkulu à la commune de Kenya  est un Mukwa Luntu du Kasaï Occidental et Laurent Musengeshi à la commune de Ruashi est un Songye du Kasaï Oriental. Les heureux vainqueurs sont élus grâce à la solidarité tribale à la grande surprise des ″locaux″. Pascal Lwangi, le quatrième bourgmestre de la ville est un Mukusu du Maniema qui s’est fait une clientèle dans la bourgeoise de la commune Albert, chez les "évolués" dont il a autrefois défendu les intérêts dans une organisation syndicale. A Jadotville dans la commune de Kikula, la victoire échoit au Tetela du Kasaï Victor Lundula. Mais ne résidant plus dans la ville, il est disqualifié et remplacé par Noël Mutonkole, un Muluba du Katanga. Les électeurs s’étant présentés en ordre dispersé et sans consigne de vote ,  aucun Katangais "authentique" n’est élu dans sa ″propre terre″. Le choc est terrible, l’émotion est vive et l’émoi est grand.. Les élections de 1957 vont raviver au Katanga la flamme clanique et vont conduire à une prise de conscience tribale qui va à son tour donner naissance à plusieurs regroupements politiques à caractère purement ethnique. Pour laver la déconfiture et rattraper le temps perdu, la CONAKAT est fondée par et pour les "natifs du Katanga" dans le seul but de contrecarrer les velléités kasaïennes dans la province du cuivre.

Toujours dans cet élan de solidarité tribale, les Congolais s’organisent politiquement. L’ABAKO qui avait une légère longueur d’avance sur ses concurrents est vite rattrapée. Des partis politiques qui en réalité sont des mutuelles sectaires sont créés.  Leurs dénominations reflètent leur assise régionale. Si l’ABAKO (Alliance des Bakongo) est le parti des Ne-Kongo, le CEREA (Centre de Regroupement Africain) animé par Anicet Kashamura est beaucoup plus un parti kivutien, tout comme le PSA (Parti solidaire africain) du trio Gizenga, Kamitatu et Mulele représente le Bandundu, Nguvulu et son Parti du peuple sont issus de Léopoldville, le PUNA (parti de l’unité nationale) a sa base à l’Équateur, sans oublier l’ASSORECO (Association des ressortissants du Haut-Congo). Au Katanga, deux grands partis ethniques aux tendances et aux idéaux diamétralement opposés vont s’affronter. La CONAKAT (Confédération des associations tribales du Katanga) de Moïse Tshombe qui regroupe essentiellement les Lunda et le BALUBAKAT (Association générale des Baluba du Katanga) de Jason Sendwe se regardent en chiens de faïence. La FEDEKA (Fédération des associations des ressortissants du Kasaï au Katanga) d’Isaac Kalonji Mutambayi wa Pasteur Kabongo va pêcher en eau trouble dans la province cuprifère. En Équateur, le Liboke lya Bangala fondé pour concurrencer l’ABAKAO qui deviendra PUNA (Parti de l’unité nationale) et la FEDEQUALAC (Fédération de l’Équateur et Lac Léopold II) rassemblent les ressortissants du Nord du pays..

Dans cette configuration mouvementée d’avant l’indépendance naissent aussi plusieurs autres rassemblements à caractère tribal : La LUKA (Union Kwangolaise pour l'Indépendance et la Liberté) représentatif du peuple Yaka et dirigée par Albert Délvaux, l’UNIMO (Union Mongo) de Justin Bomboko, l’ABAZI (Alliance des Bayanzi) de Gaston Midu, l’Association Ngwaka, l’ATCAR (Association des Tshokwe du Congo, de l’Angola et de la Rhodésie) qui va fusionner avec la FEDEKA. Un parti atypique congolais voit même le jour. Le PNP (Parti National pour le Progrès) est pro- Belge et contre l’indépendance. Discrédité, les Congolais l’appellent par dérision Parti des Nègres Payés qui en lingala devient Pene pene na mundele. Ses membres sont Jérôme Anany, Jean-Marie Kititwa, Pierre Mombele et Sylvestre Mudingayi.

Le MNC est le seul parti présent dans plusieurs provinces  (Orientale, Kivu, Kasaï) et dans la ville de Léopoldville. Une année seulement après sa création à Léo, il se scinde en deux ailes distinctes. Le MNC-Kalonji rafle une bonne partie de la province du Kasaï et devient aussitôt un parti luba (les Lulua n’étant pas les bienvenus) tandis que celui dirigé par Lumumba garde ses assises surtout à l’Est (Kivu et province Orientale). En réalité, la poire a été coupée en quatre parties dans le Kasaï. Outre les caciques du MNC-Lumumba, Les Lulua n’ont pas suivi Kalonji dans sa dissidence. Ils avaient déjà leur propre organisation politico-ethnique, le  PDPL (Parti de la défense du peuple lulua) animé par André Lubaya. Pour ne pas être étouffés  par les Lulua et les Luba majoritaires dans la province, plusieurs tribus minoritaires se rassemblent autour de Grégoire Kamanga dans la  Coalition kasaïenne (COAKA). Cette alliance regroupe les Bindji, Kete, Kuba, Salampasu, Lele, Bakwa Mputu et s’érige en opposition farouche aux trois autres factions rivales.

 

 A la veille de l’indépendance, deux groupes ethniques mécontents de voir leurs leaders écartés du gouvernement Lumumba expriment ouvertement leur désapprobation. Les Bangala du PUNA dirigé par Bolikango manifestent le 28 juin à Léopoldville, tandis que les Baluba du MNC-Kalonji le feront le jour de la proclamation de l’indépendance. Si le premier a échoué de peu pour devenir le premier président du Congo indépendant, le second a de son propre chef refusé le portefeuille de l’Agriculture que Lumumba lui avait proposé.

 

En 1967, lorsque le parti unique démarre ses activités en trombe, rien ne présage une dérive ethnique. Malgré son caractère national, le MPR va avec le temps se confondre avec une province mieux une tribu. Mobutu accordera des faveurs inouïes à Gbadolite qui devient la capitale bis du Zaïre. La majorité des officiers supérieurs viendront de son ethnie tout comme l’essentiel des éléments de la DSP.

 

 

En 1982, l’arrivée mouvementée de l’UDPS dans la scène politique congolaise ne crée pas une nouvelle donne. Comme le MPR à ses débuts, le nouveau parti se donne pour objectif de piocher dans toutes les provinces du pays. Il se veut un rassemblement extra-tribal, sans étiquette ethnique. Les pères fondateurs sont formels, l’Union pour la démocratie et le progrès social se veut un parti avant-gardiste exempt de tout parfum régionaliste. Mais de dissension en trahison, l’UDPS va peu à peu se vider de toute sa substance. Aujourd’hui, la  connotation ethnique rappelant le MNC-Kalonji des années 60 le présente plus comme un parti kasaïen. Les ressortissants de cette ethnie sont non seulement majoritaires mais aussi dominants et y exercent une très grande influence.

 

Le MLC de Bemba qui autrefois avait une armée ethnique n’échappe pas à cette sordide réalité. Le PALU est une affaire de famille si pas de clan. Antoine Gizenga, son chef historique était entouré par ceux qui se réclamait surtout de sa parenté et ses adhérents se recrutent surtout dans sa province de Bandundu. Comme à l’UDPS, les poste de responsabilité sont partagés entre les membres du clan parfois se transmet de père en fils. Dans ce même ordre d’idée le Bundu dia Mayala (BDM) qui est la vitrine politique du Bundu dia Kongo est l’exemple  frappant de ce monolithisme clanique. Même s’il revendique la défense de tous les Ne-Kongo, la direction de ce mouvement est assurée par les hommes de la tribu du gourou-fondateur Muanda Nsemi né Zacharie Badiengila voire par ceux dont les villages d’origine sont voisins du sien. Les groupes armés qui se sont rebellés contre le gouvernement de Kinshasa ont aussi été organisés dans une optique linguistique ou régionale. Mulele s’est appuyé sur les siens pour déclencher sa révolution. Il en est de même pour Gbenye et Soumialot sans oublier Laurent-Désiré Kabila. L’arrivée de l’AFDL en 1997 a mis en relief la primauté du swahili en plein Kinshasa et celle de la province du Katanga sur  les autres. Le PPRD qui en est l’émanation ne se démarque pas de cette réalité ambiante. La mainmise et l’influence des Katangais sont vivaces et réelles. Notons que l’UNC de Kamerhe est solidement implantée dans son fief du Sud-Kivu.

La formation des cartels lors des élections de 2018 n’a pas dérogé à la règle. Le pays est depuis politiquement divisé en deux camps puisque vomis le PPRD et ses alliés du FCC ne connaissant pas une vraie adhésion populaire et ne survivent que par la corruption. Au regard des hommes à  la tête des plateformes librement acceptées par la population, les ressortissants du Kongo Central, de l’ex-Bandundu, de l’ex-Équateur et d’une partie de l’ancien Katanga sont favorables à Lamuka, tandis que les sympathisants de CACH se comptent parmi les Kasaïens et les Kivutiens. Les partisans ne suivent pas les leaders pour leur vision ou pour leur projet de société mais plutôt pour leur appartenance tribale ou ethnique. Jusqu’aujourd’hui, les Congolais ne sont pas encore parvenus à se démarquer de cette tare. Grâce au militantisme tribal, les postulants aux élections ne sont pas jugés en fonction de leurs mérites. Ils sont plutôt choisis pour leur appartenance régionale. Ce critère est le dénominateur commun qui unit le candidat à son électorat traditionnel. Étant basés sur des groupes historiquement, ethniquement et linguistiquement apparentés,  les partis politiques dégagent toujours un parfum tribal ou ethnique, des accointances régionales ou provinciales, des attaches traditionnelles ou linguistiques. Cette réalité pourtant réfutée reflète le grand malaise inavoué dans le fonctionnement des rassemblements politiques congolais où règnent à la fois le séparatisme ethnique et la discrimination tribale. Déjà, les vieux démons resurgissent entre les protagonistes. Les termes mpangistan″ et ″taliban″ qui fracturent le pays témoignent du fossé ethnoculturel béant qui séparent les différentes factions politiques.

 

Samuel Malonga

 

Sources :

  • Pamphile Mabiala Mantuba-Ngoma : Les élections dans l’histoire de la  République Démocratique du Congo (1957-2010, Kinshasa, 2013.
  • Jean Omasombo Tshonda (sous la direction de), Kasaï Oriental : Un nœud gordien dans l’espace congolais, Tervuren, 2014.
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K
Le tribalisme en RDC je l'ai ressenti pour la premiere fois quand j'ai ete inscrit a l'universite...c'etait la cata. Les associations tribales faisaient la loi et les "eminents" professeurs encouragaient cela. Dans certains cours, l'echec etait garanti etant donne que le prof avait deja declare que certains tribus ne passeront pas...Dieu merci,mon nom de famille etant "passe partout" dans le centre et l'ouest du pays me permettait de me faufiler entre les mailles du filet et comme j'avais ete vice president JMPR Nord-Kivu au secondaire,on croyait qu j'etais du Kivu. J'ai grandi a Kinshasa avec des amis dont je n'ai jamais connu les origines.
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