Les avions présidentiels
Les avions présidentiels
Pendant les cinq ans qui ont été ceux de la première république, le président Joseph Kasa-Vubu faisait de l’avion stop. Il n’avait pas d’avion personnel qui lui permettait d’aller dans les quatre coins du pays ou même du monde pour faire entendre la voix du Congo. Ses déplacements étaient certes assurés mais presque comme monsieur tout le monde, il prenait un régulier d’air Congo pour l’intérieur ou de la Sabena pour l’étranger. Comme le commun des mortel, il se contentait d’avion de ligne affrété par le gouvernement pour que la diplomatie congolaise ne souffre d’aucun inconvénient. Le président tout comme son premier ministre n’avait à sa disposition ni avion ni hélicoptère personnel. Le Congo est si vaste. Les grandes distances qui séparent les différentes grandes villes ne peuvent être effectuées qu’avec un oiseau volant. Mais le problème d’un avion présidentiel se posait déjà au lendemain de l’indépendance. Alors que Tshombe aidé par les milieux financiers belges s’apprêtait à proclamer l’indépendance du Katanga, le président Kasa-Vubu et son premier ministre Lumumba décidèrent de s’y rendre pour l’en dissuader.
Kasa-Vubu et Lumumba en juillet 1960.
Mais le gouvernement ne disposait pas d’avion propre. L’appareil du gouverneur général du Congo belge avait été placé par la Belgique entre les mains des autorités katangaises après l’indépendance. Toutefois, l’armée belge mit un appareil à leur disposition. Au retour, Lumumba raconte : « Quel avion nous a-t-on donné ? Alors qu’il y a des avions convenables de voyage, on présente à notre chef d’Etat un avion sans sièges, un avion de parachutistes dans lequel il nous était difficile de nous asseoir ». A l’époque des faits, Le Congo n’avait pas encore de compagnie aérienne nationale car Air Congo n’a vu officiellement le jour qu’en 1961. A son arrivée au pouvoir, l’homme du 24 novembre, ayant retenu la leçon, comprit l’utilité de cet appareil, de sa rapidité et de son impact. L’avion n’est pas seulement important mais il est surtout indispensable. Car il joue un rôle déterminant dans le bon déroulement de la diplomatie d’un Etat qui se veut et se dit souverain. Que vaut un chef d’Etat sans avion personnel? Mobutu y jettera alors tout son dévolu pour s’équiper d’appareils neufs, ultra modernes, confortables et dignes de l’homme d’Etat qu’il était; des appareils susceptibles de lui permettre d’être à l’heure qu’il veut à l’endroit où il voudrait bien être. Les plus belles acquisitions de la compagnie aérienne nationale avaient été ses œuvres. En tout cas, l’aviation civile congolaise a eut ses lettres de noblesse sous Mobutu. Car la flotte d’Air Zaïre était une des plus performantes d’Afrique noire à l’époque.
Le Mont Ngaliema DC10/30 9Q-CLT d’Air Zaïre à Zaventem (Belgique) en 1975.
Au début, et alors que Air Zaïre s’enrichit lentement mais sûrement d’appareils nouveaux et modernes, Mobutu utilise d’abord le DC 8 Kisangani pour ses voyages à l’étranger comme celui effectué aux USA en 1972. Puis lorsque la compagnie nationale acquiert des DC 10, il délaisse les DC 8 et s’empare d’un de ses deux fleurons qui faisaient la fierté des Zaïrois pour en faire son avion privilégié et quasi personnel. Il baptisa alors ce DC 10-30 du nom de sa résidence officielle : le Mont Ngaliema. Cet appareil avait une particularité car il était à la fois l’avion du président et aussi un aéronef de ligne que monsieur tout le monde pouvait emprunter lorsque l’homme fort du Zaïre n’en avait pas besoin. L’autre DC 10 nommé Mont Ngafula était le seul qui était alloué à 100 % au service des clients d’Air Zaïre. Le Guide oubliait souvent que l’avion dont il se servait n’était pas le sien mais plutôt propriété d’une société commerciale fut-elle nationale. Il s’en servait comme il l’entendait alors qu’air Zaïre comme toute entreprise devait aussi faire des bénéfices. Au cours d’un long périple qui le conduisit dans plusieurs pays asiatiques, Air Zaïre était privé de son avion pendant les 52 jours que le président était resté à l’étranger. Le Mont Ngaliema termina mal sa vie. Saisi en 1992 pour non-paiement de dette, l’ancien DC 10 présidentiel fut entreposé en Israëljusqu'à sa destruction en 2002 .
Le Concorde garé non loin du pavillon d’honneur de l’aéroport international de Moanda près de Gbadolite.
Outre le Mont Ngaliema, Mobutu disposait aussi d’un Boeing 737 d’Air Zaïre qu’il utilisait parfois pour ses voyages en Afrique, d’un avion militaire C130 (libumu ndunda) surtout pour ses déplacements à l’intérieur, avion qu’il pilotait parfois lui-même, d’un hélicoptère de commandement Puma et d’un bateau qui s’appela d’abord MS Mobutu puis qui devint plus tard MS Kamanyola, pour ses ballades fluviales ou ses déplacements dans les villes riveraines du majesté fleuve Congo. Pour le Président, enfant du fleuve, ce grand cours d´eau avait une signification particulière. Voila pourquoi il avait besoin de cette grande pirogue en acier. En 1973, alors qu’il s’en va à New-York pour son premier discours fracassant à l’ONU, le président fait le voyage à bord du très luxueux bateau France. Mais c’est l’avion qui pour lui restera le moyen le plus rapide et qui lui permet d’arriver à temps dans les endroits qu’il veut atteindre.
Piste d’atterrissage de l’aéroport de Gbadolite, spécialement aménagé pour le décollage et l’atterrissage du Concorde.
En 1975, Valéry Giscard d’Estaing est en visite d’amitié à Kinshasa. Il fait le voyage en Concorde. Lorsqu’il atterrit à Ndjili, le président français donne à son ami Mobutu l’opportunité de visiter l’intérieur du supersonique avec son épouse Mama Sese. C’est le déclic. Le Guide émerveillé par ce joyau de l’aéronautique en fera son appareil de prédilection. Dès lors, il abandonnera celui que l’Etat mit à sa disposition un bon moment. Il n’hésitera pas quand il le voulait ou le souhaitait de louer son Concorde à Air France. Mobutu était selon Jeune Afrique devenu « le président le plus rapide du monde ». La piste de l’aéroport international de Moanda (du nom du village où il se trouve) était spécialement aménagé et balisé pour accueillir ce gros coucou en acier, de jour comme de nuit. Pour faire ses courses privées à Paris, pour voir son dentiste, pour le bicentenaire de la Révolution française et pour bien d’autres voyages officiels, le Maréchal se servira du Concorde qui officieusement était devenu le second avion présidentiel. Et il n’était pas rare de croiser le supersonique franco-britannique dans son fief de Gbadolite.
http://cpvolspresidentiels-africconcorde281.blogspot.com/ , http://menusmobutumonde421.blogspot.com/ . Avec le bel oiseau blanc, Mobutu voyage vite et en un temps record. Il n’a plus à se morfondre longtemps pendant ses déplacements au bout du monde. Le trajet Paris-Gbadolite par exemple, il le fait en 3h25 au lieu de 7heures. Quelle performance ! Voilà pourquoi le Maréchal s’était accroché au Concorde car il avait un gain de temps impressionnant. Était-il un président pressé ou était-il seulement un passionné de la vitesse supersonique ?
En 1981, afin de libérer le DC 10 Mont Ngaliema, le gouvernement achète un Boeing 707 qui autrefois avait appartenu à la TAP. A la demande du Zaïre, la compagnie portugaise transforme l’intérieur et change la version commerciale en version présidentielle avec une suite, un bureau et un salon. L’avion prend le nom de Mont Hoyo du nom d’une montagne de 1450 m située à l’est du Congo. Pendant dix ans, Mobutu fera ses voyages avec cet aéroplane. En 1991, L’appareil du président est au Portugal pour une opération d’entretien. Il ne décollera plus et ce sera un voyage sans retour. Cloué au sol, il y restera 15 ans faute de paiement de la dette de stationnement évaluée à 800.000 euros. Le gestionnaire de l’aéroport Portela de Sacavém de Lisbonne enverra l’avion à la casse moyennant paiement de 40.000 FS par un acheteur de ferraille. Le cockpit et un des réacteurs de l’avion présidentiel avaient été gardés par le Musée de l’Air des Forces Aériennes Portugaises . http://www.tsr.ch/video/emissions/mise-au-point/880128-rubrique-decodeur-il-n-y-a-pas-que-les-avions-swissair-cloues-au-sol-mais-aussi-celui-de-mobutu.html#id=880128 , http://congoscopie.afrikblog.com/archives/2007/01/05/3605608.html ,
Son Boeing 707 Mont Hoyo oublié mieux abandonné à Lisbonne, le Maréchal s’acheta un nouvel appareil, un Boeing 727/30 nommé Ville de Lisala en souvenir du lieu de sa naissance. Il ne se contentera pas seulement de cette acquisition, car parallèlement, il voyagera aussi à bord de luxueux avions de location comme en 1997. En effet, de retour au pays après son opération en Suisse suivi de sa convalescence à Cap Martin en France, Mobutu délaissera l’avion présidentiel officiel au profit d’un somptueux jet privé qu’il loua à un monarque du golfe.
Boeing 727/30 - Le Hewa Bora (ex Ville de Lisala) - République Démocratique du Congo .
A sa chute quelques mois plus tard, tous les symboles de son régime et de son pouvoir disparurent sur les parois de l’avion présidentiel. Tous les moyens de transport utilisés par l´ancien président furent débaptisés. Si le bateau Kamanyola prit le nom de Lemera, le Boeing Ville de Lisala devint tout simplement le Hewa Bora. A l’instar de Mobutu, les nouveaux noms donnés par le Mzee, plus qu’un simple sens ou une modeste signification, symbolisaient l’histoire personnelle et le parcours politique atypique des deux hommes d’Etat dans leur marche vers le pouvoir. Dans ses nouveaux habits de président, Laurent-Désiré Kabila abandonnera le grand pirogue en acier dont il n’avait pas besoin, n’ayant pas été comme son prédécesseur un enfant du fleuve. Il s’empara seulement du taxi aérien, récupéré dans des conditions inattendues et rocambolesques. Après l’avoir habillé des couleurs et des symboles de son autorité, il en fit le premier avion présidentiel post-Mobutu.
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Samuel Malonga
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