Le langage parabolique dans la musique de Lutumba
LE LANGAGE PARABOLIQUE DANS LA MUSIQUE DE LUTUMBA.
LE LANGAGE PARABOLIQUE DANS LA MUSIQUE de LUTUMBA.
Un dicton dit : «On apprend à parler à deux ans, mais on apprend à écouter à 50 ans». Cela insinue 50 ans est l’âge de la sagesse et l’âge de parler en parabole. Pour sa part, Pierre Corneille nous dira : «Aux âmes bien nés, la valeur n’attend point le nombre des années». Lutumba ne fait pas exception à cette règle. Il n’a pas attendu 50 ans pour véhiculer ses différents messages dans ses multiples chansons en recourant aux paraboles ou masese en ligala. Cette pratique est presqu’à la mode dans notre musique et les musiciens ne l’utilisent pas toujours à bon escient. C’est devenu pour eux un mode de se critiquer, de s’injurier ou de se lancer des jetons par simple concurrence. Aujourd’hui, j’ai voulu m’intéresser à cette pratique de langage parabolique dans les œuvres de Lutumba Ndomanueno Simarro. Mais avant tout qui est Lutumba?
Simon Lutumba Ndomanueno dit «Simaro Lutumba Masiya» ou «le poète» est né le 19 mars 1938 à Léopldville (catuel Kinshasa). Il est un ancien employé de la SEDEC (Société d'entreprise commerciale du Congo belge). Il était également le bras droit et le fidèle des fidèles du Grand Maître LUAMBO Makiadi Franco qu'il a servi et dont il a été l'ami jusqu'à la fin. |
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Lutumba a été initié par Kalonji, un guitariste congolais adepte du «zebola», un rythme et une danse des cérémonies d’exorcisme du peuple Nkundu de l’Equateur (RDC). En 1958, il débute professionnellement à la guitare rythmique dans l’Orchestre Micra Jazz. En 1959, il rejoint le Congo Jazz de Gérard Madiata. En 1961, grâce à sa popularité naissante, il rejoint Franco & l’OK Jazz. Lutumba est à l’origine de l’introduction de Masese (parler en parabole ou en langage voilé) dans notre musique moderne. Depuis, beaucoup de jeunes musiciens congolais se sont lancés sur ses traces. Il est écœurant de voir les gens lire un roman, regarder le maboke ou écouter une chanson sans chercher à décoder le message véhiculé par l’artiste ou chercher à aller en profondeur. Il est bien vrai qu’en écoutant une chanson, on s’emballe vite avec le rythme, l’orchestration, le chant et consort, mais cela ne peut pas nous empêcher d’aller un peu plus en profondeur pour capter le message que l’artiste nous communique. Les musiciens nous éduquent à travers les œuvres. Il nous appartient de décoder leurs messages. Si nous remontons dans la littérature française des temps reculés, nous nous rendons vite compte que sous le règne de Louis XIV, les Français vivaient sous une dictature à outrance. Les écrivains comme Jean de Lafontaine véhiculaient leurs messages dans leurs œuvres à travers des fables. Quand vous lisez une fable comme « Le loup et l’agneau », il faut approfondir le raisonnement pour chercher à savoir qui est ce loup et qui est cet agneau pour bien comprendre le contexte. Cela étant, écouter surtout une chanson de Lutumba ou de tout autre musicien sans vouloir l’interpréter ne vous permet pas de capter le message véhiculé. Voilà pourquoi on aime l’appeler le Poète Lutumba. Essayons d’examiner ces quelques chansons pour aujourd’hui. Dans la chanson «Merci bapesa na mbwa», il parle du manque de reconnaissance. Même si nos frères biologiques nous abandonnent, nous trahissent, devons espérer mieux des étrangers? Suki nabotami na yango elingaka ngai te, mino nazui na mokili ya nzambe ata eboyi ngai nasala nini ? Dans «Affaire Kiti kwala», il nous fait une véritable démonstration de la philosophie épicurienne et du stoicisme. C’est le carpe diem en latin et qui se traduit en français par Profitez quand il est temps. En Lingala, on dira buka mikwa tango ozali na mino. Na mokili toyaki tozali lokola na kati ya masuwa. Monano to na motioli tango ekosema bato bakokita. Ekomama bongo (…) Zozimo yela ngai ata Saint Pauli ya mpio na nse ya mabele molunge eleki mingi. C’est le côté épicurien de la chanson car la vie est éphémère et il nous exhorte à jouir à fond de celle-ci car dira-t-il dans une autre chanson «On ne vit qu’une seule fois ». Dans une autre chanson, il dira «Na lifelo bisengo bizali te » traduisez par « Il n’y a pas de plaisir dans l’enfer. Mais tout en disant : «La vie est comme un bateau. À tous les ports, on embarque et on débarque à tour de rôle. Nous ne sommes que de passage sur terre et demain pourra être mon tour de m’en aller. Zozimo apporte-moi de la bière fraîche car, sous terre, il fait très chaud». Simaro ne nous recommande pas simplement de profiter de chaque instant de la vie pour se faire plaisir et faire plaisir, mais en même temps de nous préparer la vie éternelle et soigner notre renommée pour la considération posthume de nos congénères. Si nous sommes des passagers sur cette terre, c’est qu’il nous faut préparer pour le grand voyage que nous entreprenons pour en jouir à notre arrivée à destination. Il ne manque pas d’attirer notre attention sur ce qui pourrait nous arriver au terme de notre vie sur cette terre des hommes. Ata ozangi nyoso kozanga mbeto ya kitoko te. Mokolo okokufa soki mbeto ya kitikwala, Ebembe na yo ekoyoka soni, Kinshasa makambo, Na ba matanga tomonaka nde makambo, Basusu bakolela bassusu bakotonga mbeto ya moweyi. Ici au-delà de s’acheter un lit présentable sur lequel son corps sera exposé à sa mort. Sinon la dépouille mortelle sera couverte de honte à cause des moqueries que susciteront le grabat qui sortira de la chambre pour l’exposition du corps. Il nous faut aller plus loin dans notre interprétation. Lutumba nous enseigne la nécessité de nous bâtir une bonne réputation et une assise morale de notre vivant pour que nous soyons pleurés et enterrés dignement. Combien de gens ont suscité des critiques, des moqueries ou des mauvaises plaisanteries à leur mort par manque de cette bonne réputation. Vouloir être pleuré ou enterré dignement se prépare de notre vivant sur cette terre tout comme vouloir mériter la vie éternelle. N’attendons pas la dernière minute. (A suivre)
KIRIKA NKUMU ASSANA ZÉPHYRIN
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