LE CONFLIT LUBA/LULUA OU LA TRAGEDIE D’UN MEMEPEUPLE.
INDEPENDANCE DU CONGO : LES CONFLITS AU KASAI.
LE CONFLIT LUBA/LULUA OU LA TRAGEDIE D’UN MEME PEUPLE.
Arbre des palabres : lieu où se réunissaient les sages et les anciens pour débattre des problèmes de la société. En ce lieu, on parlait, entre autres sujets, de jeunes pousses qui étaient l’espoir du clan ou de la tribu. On soulignait aussi les cancres du clan. Ceux à qui il ne fallait pas confier la garde du poulailler. De peur qu’ils ne vendent et les œufs et les poules ruinant ainsi tout le clan ! Nous pensons que Mbokamosika est un arbre à palabres.
Nous avons choisi de revenir sur un des épisodes douloureux de l’histoire de notre pays, le Congo. Ceci pour apporter notre modeste contribution. Nous sommes persuadés qu’il y a des compatriotes qui savent plus que nous. Le Congo dit belge, contrairement à ce que beaucoup pensent, ne fut jamais un écoulement d’un fleuve tranquille pour la Belgique. La région centre du pays a donné son lot de tumultes dans l’écoulement de ce fleuve de la colonisation. Nous allons voir les drames qui découlèrent de cette situation. Notre souci est de parler de l’histoire de notre pays loin de toute agitation partisane. Les faits que nous allons relatés ont été connus et vécus par plusieurs d’entre nous. Nous attendons d’être complétés et corrigés. Ceci dans l’esprit mbokatier qui caractérise notre blog.
Nous sommes en 1958. La Belgique, état colonial en République Démocratique du Congo, organise des élections aux assemblées provinciales. C’est la première fois que les Belges convient les « indigènes » à cet exercice. Il faut préciser que la Belgique a créé une classe sociale dans sa colonie. C’est la classe dite des évolués : des Congolais et des Congolaises qui, après un temps d’apprentissage des us et coutumes des Europpéens, se voyaient confié un numéro d’assimilés qui faisait d’eux des évolués, une sorte de classe sociale proche des blancs et pouvant être assimilée à ceux-ci...(sic) Lors de ces élections, la grande majorité de candidats était issue de cette classe. A l’époque, s’exprimer en français était déjà une grande référence dans l’échelle sociale. Parler le français, pour nos grands pères, signifiait être apte à discuter et traiter d’égal à égal avec le Blanc. Du moins, nos grands pères pensaient qu’une personne s’exprimant en français pouvait bien les représenter auprès du Blanc, le « muzungu ou mbula matadi ». Voyons comment ces élections provinciales se déroulèrent dans le Kasai et à quelle tragédie elles aboutirent…
La province du Kasaï, d’après le découpage des Belges, occupe le centre du Congo. Cette province est l’une des six qui constituaient l’ex Congo belge. Elle avait, à cette époque, quelques grandes villes comme Kabinda, Luebo, Muene-Ditu, Tshikapa, Luluabourg, Lusambo, Tshimbulu, Luiza Kambayi, (Sentery) actuel Lubao, Port Franqui ou Ilebo etc…Le chef-lieu de la province, fut Lusambo, dans le pays tetela. Dans cette province, comme partout au Congo, on retrouvait le règne absolu de la trinité belge « colon-administrateur-mumpe ». Après la deuxième guerre mondiale, il y eut beaucoup d’effervescence au sein de la Force Publique (armée coloniale) de la part des autochtones, c’est-à-dire des soldats congolais. Cette agitation était conforme à l’éveil de nos grands pères. En effet ceux-ci avaient bataillé pour le compte de la Belgique jusqu’au Moyen Orient. De cette expérience, naquit une certaine maturité et un esprit de revendication. Cette révolte se solda par une répression sans pitié de la part du colonisateur. La garnison la plus concernée par ces faits fut celle de Luluabourg. Mais ceci est une autre histoire. Mais ces faits furent parmi les éléments qui firent comprendre aux Belges que les Congolais de cette région ne se laisseront plus faire longtemps.
La ville de Lusambo, en tant que chef-lieu de la province, fut un centre de brassage de tous les peuples de la province. On y trouvait des Luba, des Tetela, des Songue, des Lulua, des Babindi, des Kuba, des Kanioka, des Tshokwe etc…C’est ainsi que Monsieur Joseph Ngalula Mpanda Njila est né dans cette ville. Le colonisateur selon ses impératifs du moment, estima que le chef lieu de la province devait être transféré de Lusambo à Luluabourg, actuel Kananga Malandji wa Nshinga. A cet effet, les Belges organisèrent des festivités et un tournoi de football. Les équipes de Luluabourg et Lusambo croisèrent les fers. L’équipe de Luluabourg remporta ce match. Ce qui fit dire à beaucoup que les Belges avaient mis comme enjeu de ce match, le chef lieu de la province. Et que c’est suite à cette victoire que Kananga devint le chef lieu de la province. Ce qui n’est pas conforme aux faits. Les Belges n’en avaient cure des colonisés qu’étaient nos grands pères à ce moment là. Seuls leurs intérêts politiques, économiques et religieux primaient.
Nous devrons dire ici que tout Belge était un agent informateur pour son pays sur tout ce que pouvait dire ou faire les autochtones. En premier lieu sur tout comportement pouvant amener à la mise en question de l’autorité coloniale belge. Dans toute la contrée du Kasaï, la classe moyenne est à majorité belge. Et les rapports entre les commerçants belges et les autochtones ne cessaient de se dégrader. L’esprit revendicatif des Congolais devenait de plus en plus fort. C’est dans cet esprit qu’il y eut des incidents à Kanyuka. Incidents entre Mr Maurice Benoît, agriculteur éleveur de son état, et les autochtones. Il y en eût encore d’autres en septembre 1959 à Tshibambula et à Ndemba. Incidents qui firent des morts. Jusque là, ces affrontements opposaient Belges et Congolais.
Nous arrivons en 1959, année des élections au Conseil de législation de la province. Il faut rappeler ici que ces élections furent organisées partout au Congo. Elles étaient une réponse à la montée nationaliste dans tout le pays. Il faudrait dire que suite à l’esprit revendicatif dans la province, les Belges avaient mis au point une bonne stratégie pour affaiblir les Congolais : « diviser pour mieux régner ». C’est ainsi qu’il fut répandu les bruits du Muluba Lubilanji qui est venu dominer le Muluba Lulua. Le Muluba Lubilanji occupe les grandes et belles maisons de Kananga...il faut le chasser et prendre ainsi sa maison. C’est le Muluba Lubilanji qui est commis, clerc ou agent comptable du blanc. Il faut le chasser pour occuper ses emplois qu’il domine etc…
C’est dans ce climat qu’arrivent ces élections de 1959. Il faut souligner que le conflit personnel de leadership au sein du MNC, entre Albert Kalonji et Emery Patrice Lumumba, était déjà latent. Aux aspirations à l’autonomie, s’ajoute un climat de suspicion et de méfiance entre Luba et Lulua. Comme en toute période électorale, chaque candidat avait mobilisé ses partisans. Mais très vite, il apparut deux camps bien antagonistes entre Lulua et Luba. La visite de Lumumba à Kananga ne fut pas pour calmer les choses. A savoir qu’Albert Kalonji briguait le poste de gouverneur. L’appui de la grande communauté tetela aux Lulua fut interprété par Kalonji comme une manœuvre de Lumumba contre sa personne dans leur affrontement pour le leadership du MNC. Pour le plus grand bonheur des Belges, le climat entre les deux communautés ne faisait qu’empirer. Le verdict des urnes ne fut pas favorable à Kalonji et aux siens. Monsieur Barthélemy Mukenge Shabantu et sa coalition avait remporté la majorité. Les représentants politiques des deux communautés décidèrent de se rencontrer pour la composition du gouvernement provincial. Les Luba Lubilanji demandèrent à ce qu’un des leurs, en l’occurrence Joseph Ngalula, soit vice-gouverneur. Mais le jeu des alliances politiques fit que ce poste échut à un Mutetela et Ngalula fut nommé au ministère de l’intérieur. Chose que les Luba Lubilanji rejetèrent bien entendu. N’ayant obtenu que 3 ministres, les Luba lubilanji s’estimèrent lésés ! Et sous l’instigation de Ngalula, Kalonji et d’autres leaders, le mot d’ordre du retour fut lancé. Il faut dire que Joseph Ngalula était revenu au Kasaï, sur le plan politique avec et en appui de Albert Kalonji. Une question fondamentale se posa aux Luba Lubilanji. Retour ? Mais Où ? De Kananga à Tshikapa, de Ilebo à Muene-Ditu, on ne s’est jamais chamaillé pour ce genre de sujet. Les Luba, toutes tendances confondues, ont toujours habité le Kasaï. Et ce depuis des temps immémoriaux où ils avaient quitté Mutombo Mukulu et Nsanga Lubanga. Et voici qu’il faille partir…Nous devons nous interroger sur cette habitude qui prévaut encore. Celle de penser que parce qu’on a trois, quatre ou cinq ministres de son patelin dans son gouvernement, on est mieux. Si cela était positif et bénéfique pour le Congo, on l’aurait vu et su depuis longtemps…Un syllogisme condamnable et nuisible.
Et voici que dans ce climat fort tendu, un événement aux conséquences incalculables se produisit. Un sujet belge, avec ses domestiques autochtones Luba Lubilanji surprit un notable, Lulua, de notoriété publique à la campagne. Il s’agit du regretté Modeste Kambala Ka Mudimbi. Sous la conduite de ce belge, Modeste Kambala fut assassiné dans des conditions ignobles et innommables. Le lendemain de ce forfait les belges répandirent le bruit que les Baluba de Kalonji avaient tué Modeste Kambala. Ce qui, en partie, n’était pas faux. Mais les maitres à penser de ce crime, c’était bien la communauté belge. Cet assassinat fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Ainsi donc les mariages contractés, les amitiés, les origines communes furent oubliées…et les enfants utérins du Kasaï s’entretuèrent. Kalonji et Ngalula demandèrent aux Luba Lubilanji de rentrer à chez eux…Mais où ? A cette époque, l’actuelle ville de Mbuji-mayi n’était qu’une bourgade, Bakwanga. C’est ainsi qu’une cohorte s’ébranla pour plusieurs destinations : Muene-Ditu, Tshibata, Bakwanga, Ngandajika, Luputa etc…Nous déplorons ici les pertes humaines de ce conflit. Au nom de toutes les victimes, nous ne citerons que deux noms pour les deux communautés : Modeste Kambala et David Odia Tshimankinda.
Modeste Kambala
Mais une fois le forfait commis, l’apaisement revenu, les deux ailes luba se rendirent vite compte de la manipulation dont elles furent victimes de la part des belges. Cela se caractérisa par nombre de chansons populaires qui stigmatisèrent ce comportement félon du blanc belge…Mais cela ne ressuscita personne. Il faut d’abord réfléchir avant d’agir. Le gouverneur Barthélemy Mukenge, apprenant la situation sociale désastreuse des femmes et des enfants à Bakwanga, par solidarité avec ses frères, organisa une assistance humanitaire d’urgence. Les services de l’ONU de l’époque furent pour beaucoup dans le soulagement de cette souffrance.
Les notables, les chefs coutumiers du Kasaï décidèrent rapidement de s’assoir autour d’une table. De mettre la paix dans les cases et les chaumières, de se tendre la main et se tourner vers le futur. C’est ainsi qu’il se tint à Ntenda une assemblée basée sur les coutumes Luba de réconciliation et de pardon. Ils scellèrent un pacte de sang et firent des sacrifies et élevèrent une malédiction éternelle sur quiconque, dans le futur, opposerait encore les Luba Lubilanji et les Luba Lulua. Ce fut le pacte de Ntenda ou « Ndondu wa ku Ntenda ». Ce pacte se tint à Ntenda et non à (lac) Munkamba, comme beaucoup de gens le pensent. Parmi les personnes présentes à Ntenda, il y eut entre autres : chef Lutonga, chef Kalamba, Albert Kalonji, Barthélemy Mukenge, Luakabuanga François, Ilunga Alphonse, le président Joseph Kasa-Vubu et d’autres.
Le sens du pacte de Ntenda : plus jamais les enfants de Ilunga Mbidi et de Muluba wa Kabamba ne devraient s’étriper entre eux.
Les Luba Lulua restèrent donc à Kananga. Les Luba Lubilanji se retrouvèrent donc à Bakwanga. Nous ne pensons pas que l’esprit du pacte de Ntenda fut tout de suite respecté. A notre avis, c’est pour la simple raison que ce conflit et d’autres, avaient pour cause les ambitions politiques des hommes. Or le pacte de Ntenda était basé sur l’organisation politique de l’empire Luba dans sa culture et sa gestion des conflits. Jusqu’aujourd’hui, il sert encore de référence comme ligne rouge à ne pas franchir. Bien souvent, même actuellement, on retrouve les mêmes reflexes et ambitions personnelles derrière beaucoup de tentatives d’opposer les Luba. Par exemple monsieur Mobutu Joseph Désiré dans sa guerre contre Etienne Tshisekedi. Après le départ des Luba Lubilanji, Luluabourg ne connut pas la paix…Pour les mêmes raisons de pouvoir, le conflit entre Mutombo et Katawa jeta encore la désolation, « mvita ya Mutombo ne Katawa ». Et ceux qui partirent à Bakwanga, n’échappèrent pas, non plus, à cette même malédiction…
Sangayi… ! Wabo. Anishayi… ! Kolayi. Badiano… ! Eyooooo.
Kasaï wa balengala, par le groupe Sankayi
Folklore Lulua
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CLAUDE KANGUDIE.
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