EBALE YA ZAIRE DE LUTUMBA SIMARO ET LE TP OK JAZZ
EBALE YA ZAIRE DE LUTUMBA SIMARO ET LE TP OK JAZZ
Ebale ya Zaïre est le majestueux fleuve Zaïre. C’est une véritable colonne vertébrale aquatique dans les jungles de l’équateur, un gigantesque fleuve traversant une bonne partie de l'Afrique Centrale. C’est aussi un fleuve qui garde beaucoup de secrets dans son lit, les restes des humains, des animaux, des objets de valeur ainsi que des histoires d’amour. Il a inspiré plus d’un musicien au Congo. Dans l’African Jazz de Kabasele Tshamala alias Grand Kallé n’a –t-il chanté Ebale ya Congo ezali lopango te ezali nzela. (Traduisez le fleuve Congo n’est pas LA propriété d’un individu, mais un passage pour tout le monde.)
Toute personne qui tombe devant ce titre serait tenté de croire que l’auteur-compositeur chante le fleuve Zaire. Le poète recourt à un procédé linguistique en utilisant une espèce de métonymie qui fait qu’il va s’intéresser plus au contenu qu’au contenant. Ce qui importe pour lui, ce n’est pas le fleuve Congo. Loin de nous décrire le majestueux fleuve Zaïre dans toute sa splendeur, l’auteur-compositeur est préoccupé par le bateau fort probablement de l’ex ONATRA qui tout en naviguant sur les eaux de ce fleuve emporte son amour. Il chante une femme qui fait un voyage à bord de ce bateau. Lutumba, impuissant observe le bateau s’éloigner avec sa moitié. Il n’a que des larmes sur ses yeux devant cette scène macabre. il faut prendre le temps d’écouter les paroles de la chanson pour se rendre vite compte qu’il s’agit d’une histoire d’amour.
Le texte de la chanson commence par une sorte d’interpellation. L’auteur interpelle le bateau qui emporte sa moitié en ces termes:
Masuwa, masuwa, yo wana omemi oyo ya ngai bolingo, oyebaka nakozela. Cette interpellation nous montre la préoccupation et la douleur du poète. On peut s’imaginer qu’il n’avait pas souhaité ce voyage entrepris par sa moitié. La séparation était dure à vivre. Il a l’espoir que le bateau qui navigue en amont avec sa bien-aimée naviguera aussi en aval pour la lui ramener. Tous ceux qui ont eu à accompagner leurs copines qui désirent prendre un bateau ou vol d’avion en savent quelque chose. La douleur de séparation vous pince le cœur tout en y laissant des cicatrices qui ne se referment pas aussi tôt.
Masuwa ekonana loseba ebeti,
Masuwa ekonana bolingo pe enani
Masuwa ebungi e na kati ya londende
Bolingo pe ebungi e na kati ya londende
Ngai na libongo naleli yo Mbole.
Dans cette première strophe, Lutumba nous montre comment le bateau qui s’éloigne emporte sa moitié. Le klaxon du bateau est un signal fort du départ comme pour dire attachez vos ceintures, on décolle. Il annonce le bateau lève l’ancre et cela déchire le cœur des amants. Combien de personnes pleurent pour la douleur occasionnée par cette séparation? J’ai déjà vécu une telle expérience et e m’imagine comment cela se passe. Tenez! J’ai eu à accompagner une copine qui devait prendre un bateau au port de Mangai pour se rendre à Ilebo. Au deuxième coup de sirène lorsque j’observais le bateau s’éloigner du port et je levais ma main droite en signe d’au revoir, elle a failli tomber dans les eaux de la rivière Kasaï s’il n’y avait pas de gens pour la maitriser. C’est un instant difficile à vivre.
Londende signifie le brouillard. Ce brouillard empêche Lutumba de voir le bateau de loin. Le bateau qui disparait dans le nuage et dans les méandres du fleuve Congo, c’est en même temps la disparition de son amante qu’il ne peut plus voir de loin. Elle est assimilée au bateau dans lequel elle voyage. Le fait de voir le bateau naviguer même au loin lui rappelle son amour. Le nuage qui constitue un obstacle pourrait bien symboliser le désespoir de l’auteur. Ce désespoir fera en sorte que le poète se fonde en larme. Ce dernier vers explicite le nom de l’amante qui voyage. Il s’agit bien de Jeannine Mbole que Lutumba a immortalisée dans la chanson "Mabele"
Chérie okendeke malamu Mbole
Elaka okomelaka ngai soki okomi
Nayeba bolingo obosani ngai te
Nandima bolingo ata ndele okozanga
Nazali se kozela mokolo masuwa ekozonga
Ngai awa ata sango ya pamba Jeannine.
Incapable de faire retourner le bateau au port de départ, Lutumba ne peut que souhaiter un bon voyage à Mbole. Toutefois, il a besoin des assurances telle que recevoir ses lettres pour s’en convaincre que sa bien-aimée, qu’il garde sa place dans son cœur et que c’est signe que tôt ou tard, elle reviendra à Kinshasa. Ces assurances sont un gage qui fera en sorte que l’amant aura les yeux rivés sur le fleuve pour un retour probable du bateau afin de recevoir ne fut ce qu’un message d’amour en provenance de sa bien-aimée si elle-même n’est pas dans le bateau. L’échange de correspondance ou des messages constitue ainsi une véritable consolation en cas de séparation entre deux êtres qui vivent en amour.
Ebale mozindo ekati ngambo
Matiti ekotiola, babwatu ekotiola
Kasi bolingo na ngai ezali se konana
Nazali se kozela mokolo masuwa ekozonga
Ngai awa nabeli ba soucis ya lamulu.
Le bateau ayant disparu dans le brouillard, Lutumba est resté seul dans le port pour vivre son deuil. Le regard rivé sur les eaux du fleuve, il ne lui reste qu’à contempler sa grandeur, les jacinthes (Congo sika), les pirogues qui descendent alors que le bateau navigue en amont. Il monte le fleuve Congo et se dirige certainement vers le Haut-Congo (Kisangasani). Rongé par les soucis de l’amour, il reste toutefois convaincu qu’un jour ce bateau lui ramènera ,son âme ou son amour.
Lelo nakanisi yo mingi Zwani
Na se ya kwiti nabandi nde kolota
Y’olobeli liloba na mwa likukuma
Dit Zwani nzoto ya kwiti mawa mingi.
Les pensées de Lutumba sont tournées vers sa bien-aimée. Ce qui lui crée beaucoup de soucis. Comme solution, il va boire pour noyer ses soucis dans la boisson. Sous l’effet de la boisson, il croit rêver et il revit les conversations d’amour comme s’ils étaient l’un en présence de l’autre.
Masuwa ememeli ngai bolingo nzambe
Nabenga nani lolema emesana
Kombo ya Mbole, lolemo emesana
Mongongo ya Mbole matoyi emesana
Dit Zwani, nazingi maboko na ba soucis.
Cette cinquième strophe traduit toute la désolation de Lutumba. Il ne veut appeler personne d’autre, prononcer ou entendre résonner dans ses oreilles le nom d’une autre créature que Mbole. Il devient inconsolable. Amour quand tu nous prends. Pamelo Mounk’A ne l’a-t-il pas chanté dans "Amour de Nombakele"?
Eloko esali ngai makanisi dit Zwani
Tovandi ba mbula to vandi ba sanza mpe
Tovandi ba poso to vandi mikolo
Tomesani bolingo na mode ya liboma
Dit Zwani natangi ba plafond na ba soucis.
Cette strophe complète la précédente. Il donne les raisons de la désolation du poète. C’est un amour de longue date et non un amour qui vient de naitre dans les deux cœurs. Les deux amants ont passé ensemble des semaines et des mois. Ils ont bu ensemble le calice jusqu’à la lie. C’est difficile d’oublier l’autre dans cet amour qui les a rendus fous.
Photo y’otikela ngai na libongo
Na kati ya motema ekoma nde elili
Namonaka nzela nionso nakokende
Nabelela na mosika elili ebungi
Dit Zwani nabeli ba soucis ya lamulu
Dans nos coutumes, souvent les hommes laissaient leurs ceintures ou chemises à leurs épouses pour une séparation momentanée lorsqu’ils se rendaient en mission de service. Ces objets les immortalisent et symbolisent leur présence permanente même s’ils sont loin. Il suffit à la femme de porter la chemise de son pari pour se rendre compte de sa présence. La photo est le symbole que Mbole laisse à Lutumba pour se rappeler souvent d’elle.
La photo de Mbole est devenue une véritable consolation pour Lutumba. Elle est gravée dans sa mémoire qu’elle le suit partout.
Eloko bolingo ezanga nde miso
Moto y’okolinga akolinga yo te
Oyo okoboya akolinga yo mingi
Oyo okokima akolanda yo mingi
Etumbu oyo bapasi ya lamulu tomonaka.
Un vieil adage dit: Ceux que vous aimez ne vous aimeront pas. Beaucoup d’entre nous ont déjà expérimenté ce contraste. Combien de fois les hommes ou les femmes que nous aimons d’un amour sincère sont infidèles ne nous aiment pas. Nous vivons souvent un amour à sens unique. On envoie une flèche mais sans en recevoir le retour. On fait tous les sacrifices possibles mais en vain. C’est un véritable dilemme. Celui que vous aimez ne vous aimera pas, celui que vous haïssez vous aimera et celui que vous évitez se mettra à vos trousses. C’est ce que Lutumba appelle punition ou les souffrances de l’amour. Avez-vous expérimenté cette réalité?
Soucieux de publier toutes mes interprétations dans un recueil, j’ai grandement besoin de vos commentaires et critiques.
Zéphyrin Kirika Nkumu Assana
EBALE YA ZAIRE,par LUTUMBA SIMARO et l'OK-JAZZ