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Publié par Messager

Le site « mbokamosika» opère en moi ce dimanche une redécouverte radicale de cette chanson d’Abeti Masikini. Je réécoute « Likayabo » et je constate pour la première fois que la chanson était écrite dans un contexte de séparation, d’exil qui est comme un écho au nom et à la philosophie du site de Le Messager : « mboka mosika ». La chanson s’ouvre d’abord sur une invocation syncopée de deux épices indispensables dans la cuisine congolaise de l’est du pays, qui dénote l’influence de la cuisine arabe : « manjano » (curcumine,) et « amndalasini » (en swahili classique : dalasini ; cannelle). Mais juste après ce vers survient le cri déchirant mais plein de défi de l’exilé :
« alafu
Nalulia kwetu
Nachoka na kukula bitu ya kuvimbisha tumbu »
[Et alors?
Je rentre chez nous
Je suis fatiguée de manger de la nourriture qui fait gonfler le ventre]
Alimentation de subsistance de l’exilé, sans les mets, les parfums et les épices de la cuisine du pays. Ce cri de séparation se précise dans la chanson : « Je pleure chez nous, chez nous au Zaïre » ou « Je rentre nous rentrons chez nous ». Tout en étant une ode à la cuisine de Kisangani, cette chanson est aussi un hymne au terroir congolais.
Abeti énumère alors les mets favoris des Boyomais : « likayabo » (poisson salé) ; « kamundele » (poisson grillé ou frit) ; « chikwange » ; « lituma » (plantains pilés) et certaines combinaisons classiques de plats : « lituma » et poisson ; ainsi que le riz et le « sombe » (feuilles de manioc).
Abeti cuisine aussi dans son imagination, ajoutant un peu de poivre (kalopilipili) ce moment-ci ou un peu de sel (kalochumbi) un moment plus tard. Tout en goûtant à la soupe qu’elle fait mijoter sur le feu : « ma ! » (onomatopée traduisant la satisfaction du goûteur évaluant le bon goût obtenu par une combinaison d’ingrédients) et « gio ! » (onomatopée de la déglutination agréable d’un fin gourmet). Bon appétit donc…
Elle mentionne aussi une façon toute particulière des Boyomais de manger le riz et les feuilles de manioc : le restant de ce plat réchauffé et mangé très tôt le matin---en lieu et place du petit déjeuner fait de café ou de thé et du pain : un régal et une aubaine pour les petits écoliers avant une longue journée à l’école. Toute une dimension anthropologique du manger boyomais… Mais je remarque un grand vide dans l’énumération d’Abeti : aucune mention expresse de la viande, bien qu’on puisse admettre dans la catégorie « kamundele » de la viande grillée ou frite. Mais à Kisangani, la viande cuite de cette façon n’est pas traditionnellement appelée « kamundele » comme à Kinshasa… Sur ce même sujet, on note aussi qu’Abeti exagère quand elle chante qu’il y a de la curcumine et de la cannelle dans son « kamundele », puisque celui-ci est un mets pas cher qu’on vend la nuit au coin de la rue pour les fêtards sortant des bars.
Il y a finalement un grand intérêt linguistique à cette chanson, ainsi qu’à l’autre chanson d’Abeti, « Aziza », affichée sur ce site le lundi 11 février 2008. Elles constituent des documents d’analyse comparée entre le swahili de Kisangani, le swahili des Kivu et du Katanga, et le swahili de l’Afrique de l’est. Des chansons multidimensionnelles donc… Encore une fois, Monsieur Le Messager, merci de m’avoir aidé à faire cette redécouverte incroyable de cette chanson de la Tantine Abeti.
Alex Engwete
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